Introduction
« Qu’est-ce que l’éducation populaire ? »
« Je suis défini dans ma fiche Wikipédia comme militant de l’éducation populaire, ce qui ne veut rigoureusement rien dire à 99,9% de la population », déclare non sans ironie Franck Lepage, anciennement chargé de la culture à la FFMJC et depuis co-fondateur de plusieurs initiatives réflexives et pratiques sur le rôle politique de l’éducation populaire. Cette question est d’ailleurs probablement celle qu’on m’a le plus posée depuis le début de ce temps de mémoire. Au moment où je commence à m’intéresser au sujet, je n’en ai qu’une conception vague, la résumant alors à l’ensemble des apprentissages informels se déroulant en dehors des enseignements institutionnels. Plusieurs discussions avec mon entourage proche et moins proche semblent confirmer le flou général qui entoure ce terme. Si tout le monde y projette quelques concepts allant de l’accès aux loisirs pour toutes et tous au paternaliste « éduquer le peuple », la combinaison des deux mots fait appel à des imaginaires très variés et parfois même contradictoires. De fait, chercher à en comprendre la signification est particulièrement troublant. Une simple recherche sur internet amène sur un imbroglio de références historiques, de définitions et de pratiques portées par des acteurs aussi différents que le Ministère de la Culture ou l’Union Communiste Libertaire. Ces initiatives qui sur un référentiel institutionnel vont de la plus consensuelle à la plus radicale, génèrent une multitude de pratiques et de discours plus ou moins critiques les uns par rapport aux autres qui portent, à première vue, de nombreuses ambiguïtés.
À chaque mot ses définitions
Un des exemples les plus probants de cette confusion se trouve dans l’usure générale des éléments de langages utilisés. On peut ainsi voir dans des structures aussi éloignées que la FFMJC et les coopératives indépendantes d’éducation populaire politique des termes étonnamment similaires - et parfois même identiques - pour décrire la vision de leur engagement. Toutes deux vont par exemple mobiliser des notions d'émancipation individuelle et collective, de pratique de la démocratie et de transformation de la société. Bien qu’en apparence équivalents, ces termes font appel à des significations différentes et sont associés à des références, initiatives et valeurs qu’il est au premier abord difficile de discerner. On retrouve un phénomène assez similaire dans les diverses utilisations des références historiques. La considération ou la minimisation de l’apport de certains mouvements dans la construction de l’histoire de l’éducation populaire amène à des appropriations variées des filiations, et servent à introduire telle ou telle conception de la pratique. L’influence des mouvements ouvriers occupe par exemple une place prépondérante dans les références mobilisées par les acteur·rices revendiquant un rôle politique à l’éducation populaire, à l’inverse des entités institutionnalisées qui tendent à la marginaliser au profit de mouvements historiques ancrés dans les idéaux républicains. Dans un article intitulé « Considéré comme l’inspirateur... Les références à Condorcet dans l'éducation populaire », le politologue Frédéric Chateigner revient également sur la place de la référence quasi systématique du projet de loi sur l’instruction publique présenté par le marquis de Condorcet devant l’Assemblée Nationale Législative en 1792. Apparu dans les années 1960 comme un point d’ancrage originel pour situer l’apparition de l’éducation populaire, celui-ci évolue à travers les décennies entre appropriation et distanciation par un panel large de mouvements aux filiations politiques diverses.
Une multitude d’acteur·rices
Un autre facteur de confusion réside dans la difficile catégorisation des différents organismes, et notamment ceux affiliés au champ institutionnel. Là où l’éducation populaire est associée aux actions touchant au domaine de l’animation socioculturelle, on la retrouve adossée à des diplômes variés autour du sport et de l’animation (DECEP, DEJEPS etc.) mais également sous la forme d’un agrément « jeunesse et éducation populaire », ayant pour but de créer un « label de qualité » et d’apporter d’éventuels financements d’État à des associations « portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel ». Cet agrément regroupe un mélange hétéroclite de structures plus ou moins grandes, anciennes et proches des discours étatiques allant de la FUAJ à ATTAC en passant par Sid’action, la Ligue de l’enseignement, les SGDF ou encore le DAL et Les Petits Débrouillards. La diversité des approches, l’éventuelle évolution des positionnements ainsi que la pluralité des opinions exprimées par les praticien·nes d’une même organisation, tendent à complexifier la compréhension des débats internes quant au rôle attribué à l’éducation populaire.
L’État face à la critique
Cependant, on constate qu’au-delà du flou général apparent se dégage une rupture principale qui oppose la vision institutionnelle influée par l’État aux tenant·es d’une éducation populaire critique et contestataire. Ce mouvement, notamment porté par des coopératives indépendantes et diverses associations agréées ou non, fait le constat d’une subversion de la pratique, résultat d’un long processus d’institutionnalisation et de segmentation des rôles. Sans ignorer la nature intrinsèquement politisée de tout projet éducatif, ces acteur·rices se revendiquent d’une « éducation populaire politique ». L’objectif est à la fois de se distinguer d’organismes institutionnalisés considérés comme dévoyés de leur mission initiale, que comme moyen de réaffilier une dimension critique et émancipatrice à la définition de l’éducation populaire. Ce qualificatif de « politique » s’incarne ici dans une perspective de transformation sociale par la lutte contre les rapports de dominations et la construction d’une autonomie politique. Pour cela, les praticien·nes articulent une pluralité de méthodes, d’analyses et d’actions dans une logique d’auto-formation qui s’ancre dans les réalités sociales de chacun.
La place du design
Quel est le rapport avec le design et pourquoi s’intéresser à l’éducation populaire en tant que designer·euse ? Je pense qu’il s’agit de comprendre en quoi la notion d’émancipation telle que pensée dans une démarche d’éducation populaire peut nous éclairer de façon critique sur nos projets. Ceux-ci se destinent quasi systématiquement à transformer nos environnements publics et privés et laissent des marques qui sont souvent loin d’être neutres sur le corps social et nos espaces de vie. Les logiques influençant leur construction viennent d’ailleurs régulièrement nourrir les débats sur la part de l’éthique dans nos métiers, et questionnent sur la place qu’occupent les designer·euses dans le vaste engrenage de la reproduction des rapports de pouvoir. Si beaucoup partent à la recherche d’une boussole éthique pour orienter consciences et projets, je pense que l'éducation populaire peut venir nous éclairer, tant dans sa lecture critique des rapports de domination que dans sa manière de les déconstruire. En militant pour une émancipation par la transformation des structures de dominations, celle-ci se base sur la construction de postures analytiques et l’apprentissage d’une gestion collective dans les débats et les prises de décision. Ces manières de lire le monde peuvent être des sources d’inspiration pour analyser notre place et les incidences de nos créations sur le monde social. Ce mémoire est donc une tentative de découverte de cet univers protéiforme, afin de comprendre les enjeux, les méthodes et les pratiques qui accompagnent les porteur·euses d’une éducation populaire revendiquée comme politique.
- « CHATEIGNER Frédéric, « Considéré comme l’inspirateur... Les références à Condorcet dans l'éducation populaire », in Sociétés contemporaines, n° 81, 2011, p. 27-59.
- CONDORCET Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique, présenté à l'Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792.
- « L’agrément de jeunesse et d’éducation populaire », Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse.
- « Le Canard Réfractaire, « Franck Lepage #1 - Introduction aux conférences gesticulées », Youtube, 21/12/2019.
Remerciements
- Merci Camille pour ta grande patience, tes conseils, ton écoute, tes critiques et la générosité de ton temps qui m’ont été plus que précieux pour traverser cette longue épreuve.
- Merci à mes parents, mon frère et ma soeur pour votre soutien et votre patience qui m’ont donné un point d’ancrage et l'énergie nécessaire pour terminer.
- Merci Ronan et Juliette P. pour vos relectures attentives, les discussions et vos conseils qui m’ont permis d’y voir plus clair et donné envie de continuer.
- Merci Timothé pour ta grande aide et ton temps sur la construction du site internet, qui m’a épargné bien des maux de crâne et sans laquelle je n’aurais pas pu finir la mise en page.
- Merci à l’équipe du bocal, Maëva, Juliette C., Juliette P., Kuidja, Justine, Axelle, Azaée, Victor, Yunya, Samuel, Louna, Matthieu L. et Mathieu E. pour les discussions, le soutien et l’entraide pendant tous ces mois.
- Merci Anne, Arthur et Perrine d’avoir accepté d’échanger sur vos pratiques de l’éducation populaire, qui m’ont permis de mieux comprendre de nombreux points sur ce sujet complexe.
- Merci aux militant·es qui mettent à disposition tout leur travail en accès libre et gratuit, tant en vulgarisation qu’en expérimentation, pour rendre accessible la compréhension de ces enjeux importants
Une brève histoire de l'éducation populaire
Cette partie a pour objectif de resituer brièvement les événements principaux de l’histoire française de l’éducation populaire, afin d'appréhender la pluralité qui la caractérise, et de retracer l’évolution de ses manifestations de la Révolution Française à nos jours. Il s’agit d’un récit chronologique, loin d’être exhaustif, qui se base sur des exemples successifs d’incarnations. Celles-ci allant des premières tentatives d’appropriations du peuple dans la refondation des structures sociales au XIXe siècle, à la mise en place d’un secteur dédié dans l’action culturelle d’État sous la Ve République. L’objectif est de mettre en lumière les débats qui entourent les différentes conceptions et définitions du « peuple » et de son éducation (ou auto éducation), pour comprendre l’émergence des critiques et des revendications portées aujourd’hui par les praticien·nes d’une éducation populaire politique.
De la Révolution Française à la Première Guerre Mondiale
Dans sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Alexia Morvan (anciennement chargée des relations internationales à la FFMJC et cofondatrice de la SCOP Le Pavé) rappelle que l’éducation populaire est et a toujours été une éducation « au politique ». La référence quasi systématique au rapport de Condorcet sur l’instruction publique pour en situer l’origine est d’ailleurs un exemple assez probant de l’unanimité dont fait preuve cette conception. Dans sa tribune des 20 et 21 avril 1792, le marquis de Condorcet présente ainsi à l’Assemblée Nationale son projet de loi sur l’instruction et proclame la fameuse phrase : « Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. » En réponse, Condorcet défend une instruction universelle, continue et émancipatrice ayant pour but « d'établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi » et entérine pour beaucoup les principes fondamentaux de l’éducation populaire. Cependant, si l'éloquence du projet de Condorcet marque durablement l’imaginaire collectif, Alexia Morvan rappelle que c’est bien tout le contexte de la Révolution Française qui « met en avant la responsabilité de chaque homme dans l’élaboration du destin politique commun (souveraineté du peuple d’où va ensuite découler le suffrage universel) » qui est à prendre en compte. « L’éducation populaire découle de cet élan d’éducation jugée nécessaire et continue de tous les citoyens comme condition de leur participation sociale, économique, politique, à cette nouvelle société. »
Rapidement rattrapé par les contre-révolutions successives, cet idéal éducatif se prolonge au XIXe siècle en dehors des institutions dans une multitude « d’initiatives privées, proposées à un public populaire non spécifique, par des militants ouvriers, laïcs ou confessionnels ». Cette période, profondément marquée par l'essor de l’industrialisation sous-tendue par la propagation des idées libérales, voit se dégrader de manière générale les conditions de vie des classes populaires. L’écart grandissant séparant les élites économiques du prolétariat naissant mobilise les différents mouvements dans l’objectif d’apporter des savoirs techniques et moraux au peuple, orientés vers l’inculcation des bases de sociétés nouvelles.
On retrouve ainsi dans les émanations républicaines de la Révolution plusieurs initiatives d’éducation gratuite et laïque à destination de la classe ouvrière. Dès 1830, l’Association Polytechnique (prolongée en 1848 dans l’Association Philotechnique) fondée par des anciens de l’école éponyme propose des cours du soir pour adultes dans la vision humaniste et descendante de rendre les ouvrier·es « plus habiles, plus à l'aise et plus sages, [et] de moraliser par la science et par l'enseignement professionnel. » La Ligue de l'Enseignement développe également à partir de 1866 un réseau de cercles indépendants répartis dans toute la France, qui visent à favoriser l’accès à l’éducation par la mise à disposition de ressources sous la forme de bibliothèques, de cours et de conférences. La Ligue qui milite pour une école républicaine affranchie de la tutelle catholique prône la mise en place d’une instruction publique et universelle, et participe à la mise en place des lois Ferry sur l’éducation primaire dans les années 1880. Celles-ci marquent l’aboutissement du projet d’instruction technique et d’imprégnation des valeurs républicaines et patriotiques dans l’esprit des enfants de la nouvelle République, que les membres de la Ligue poursuivent par la suite dans l’encadrement des jeunes adultes à la sortie de l’école.
Sur son versant confessionnel, l’éducation populaire se matérialise au XIXe siècle dans le mouvement du christianisme social, et se développe notamment suite au massacre de la Commune de Paris en 1871 et la prise de conscience par les ecclésiastiques des conditions dégradantes de vie dans les quartiers populaires. L’éducation et l’action sociale sont alors vues comme des moyens de réconcilier les classes antagonistes et de reconnecter les ouvrier·es à la religion. Ces intentions se manifestent parfois en faveur de l’ordre et de la paix sociale comme les cercles catholiques ouvriers du comte de Mun fondés en 1871 ou les jardins familiaux de l’abbé Lemire en 1896. À l'inverse, on trouve dans des mouvements comme celui du Sillon une volonté de construire une approche politique commune en partant des chrétien·nes et des ouvrier·es comme base d’un mouvement non hiérarchisé, ancré dans les besoins et problématiques des personnes concernées. Sous l’impulsion du journaliste et homme politique chrétien Marc Sangnier, il est proposé en 1894 de transformer les réseaux de patronages de l’église catholique en « cercles d’études sociales où seraient étudiées et discutées les questions auxquelles il est absolument indispensable que soient initiés les citoyens d’une libre démocratie. » Dans ces ateliers sont ainsi traités un panel très large de questions économiques, sociales, scientifiques, religieuses, avec des aspects parfois très techniques et pratiques (action syndicale, droit du travail…). Les enseignant·es portent un rôle de conseiller·es plus que de professeur·es, rompant avec une vision descendante de l’apprentissage et proposant des formes d’appropriation active du savoir. Cette pratique ascendante et horizontale de la démocratie chrétienne (démocratie ancrée dans les valeurs sociales de l’Eglise) ainsi que l'affirmation de l'autorité des chrétien·nes sur l’église (et non celle des élites ecclésiastiques) seront condamnées pour modernisme par le pape en 1910 ce qui conduira à l’auto-dissolution du mouvement la même année.
Au-delà des tentatives d’intégration républicaines et religieuses, le mouvement ouvrier prend également en charge son éducation entre nécessité d’auto-organisation et volonté d’émancipation. Des formes d’éducation populaire dans l’action apparaissent dès le début du siècle dans les pratiques associationnistes. Celles-ci se développent pour pallier à la dégradation des conditions de travail et faire face à la répression syndicale et corporatiste amorcée par la loi Le Chapelier de 1791. Coopératives, mutuelles et caisses de solidarité se développent comme autant de moyens d’auto-formation politique et de lutte contre la précarisation des nouveaux marchés du travail. On retrouve également parmi les tentatives d’application des principes éducatifs du socialisme utopique, la création du familistère de Guise en 1859 sous l’impulsion de Jean-Baptiste-André Godin (ouvrier ayant fait fortune dans le poêle à bois). Marie Moret (pédagogue et compagne de Godin) y met en place dans la continuité des idées fouriéristes de l'éducation intégrale une instruction visant le développement de toutes les capacités de l’être par l’enseignement physique, intellectuel et moral. « L’éducation [est] considérée par les coopérateurs comme un élément indispensable au bon fonctionnement de l’économie sociale [...] dans la mesure où elle doit permettre de donner naissance à cet homme nouveau, ce travailleur nouveau, conscient de sa valeur. » L’école y est ainsi mixte, gratuite, laïque et obligatoire jusqu’à 14 ans, et des cours du soir ainsi que des bibliothèques sont mises à la disposition des adultes à la sortie de l’usine. Le théâtre situé au milieu de la cité est utilisé comme un outil central dans la propagation du savoir et de la culture familistérienne du travail, avec des débats et des conférences. Pour les enfants y sont donnés « des cours de déclamation pour apprendre à s’exprimer devant un auditoire, et ainsi faire valoir leur opinion en tant que futurs citoyens et associés ». Également, à la fin du siècle avec la subversion des bourses du travail par les syndicalistes révolutionnaires apparaît une autre initiative d’éducation populaire selon le mot d’ordre « instruire pour révolter ». Créées en 1887 par l’Etat pour permettre aux syndicats d'assurer la répartition des emplois, elles sont utilisées à partir de 1892 par les anarcho-syndicalistes comme base d’éducation et de formation syndicale. En participant au développement d’une lecture critique de son environnement, « l’éducation a dès lors une double mission, celle de développer, non seulement, la formation générale et professionnelle [...] mais aussi la formation du plus grand nombre afin de préparer chacun des acteurs aux tâches d’organisation, de production, de gestion et de distribution nécessaire à la bonne marche de la société fédéraliste à venir. »
De l’entre-deux guerres à la Direction générale de la Jeunesse et des Sports
L’entrée dans le XXe siècle marquée par le traumatisme de la première guerre mondiale et les massacres sur le front met cependant un frein à l’expansion de ces mouvements éducatifs. L’éducation populaire prend un tournant nouveau et s’incarne dans le foisonnement d’associations de jeunesse qui fleurissent dans l’entre-deux guerres. Entre accès aux loisirs pour tous et action politique, ces organisations souvent gérées par les jeunes eux·elles-mêmes se développent hors des temps de travail et jouent pour beaucoup un rôle central de conscientisation et d’éducation politique.
On retrouve ainsi dans le mouvement jociste, importé de Belgique en 1927 et développé par le travail conjoint de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) et de la JOCF (JOC Féminine), une incarnation manifeste de cette évolution. En se mobilisant pour l’amélioration des conditions de vie ouvrières et le partage des valeurs sociales de l’église, les jocistes construisent leur action politique autour de la méthode initiée par le pasteur Joseph Cardijn du « voir, juger, agir ». Au travers de rendez-vous réguliers regroupant trois à dix jeunes, l’objectif y est de partager les expériences de la vie quotidienne (voir), les analyser ensemble pour en comprendre les causes (juger) et transformer la situation (agir) par l’action syndicale, la visibilisation des luttes (rédaction d’articles, construction d’enquêtes nationales…), ou encore par la participation aux divers mouvements sociaux. Leurs homologues étudiants (JEC·F) et agricoles (JAC·F) fondés peu de temps plus tard poursuivent un travail similaire dans leurs milieux respectifs.
On retrouve également dans des mouvements comme celui de l'ajisme des formes d’éducation populaires étroitement liées à la pratique des loisirs où se diffuse et se pratique de l’auto-formation politique. Importé d’Allemagne en 1927 par Marc Sangnier, celui-ci se développe sur son versant confessionnel dans la LFAJ (Ligue Française des Auberges de Jeunesse) et sur son versant laïc dans le CLAJ (Comité Laïc des Auberges de Jeunesse) à partir de 1933. Ce mouvement mixte, interclassiste, anti-autoritaire et autogéré par les membres favorise la rencontre de jeunes aux statuts sociaux variés qui arpentent la France à pied, partagent leurs expériences et se politisent. À la suite d’un fort engagement dans l’aide aux réfugié·es de la guerre civile espagnole en 1936, de nombreux ajistes entreront dans les réseaux de résistance pendant l’occupation.
L’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936 accentue l’essor de ces mouvements de jeunesse. Suite aux grèves massives sont appliquées une série de lois sociales entérinant la semaine de 40h, les congés payés et les billets à tarifs réduits, qui encouragent l’accès aux activités hors des temps de travail. Cependant, le gouvernement Blum qui entend orienter ces nouveaux temps libérés vers la consommation de loisirs sportifs, artistiques et touristiques, crée le sous-Secrétariat aux Sports et aux Loisirs sous la direction de Léo Lagrange. « Nous voulons que l’ouvrier, le paysan et le chômeur trouvent dans le loisir la joie de vivre et le sens de leur dignité » déclare celui-ci dans son Discours à la Jeunesse du 10 juin 1936. Rapidement sont développées des infrastructures sportives et touristiques (stades, auberges de jeunesse…), le sous-Secrétariat s’associe à la direction générale des Beaux-Arts dans l’objectif de favoriser l’accès aux pratiques artistiques (cinéma, théâtre...) et développe un réseau de bibliothèques publiques pour diffuser les « grandes oeuvres » littéraires et musicales. À l’inverse d’une éducation morale et politique, l’éducation populaire est alors considérée comme une éducation sportive et culturelle, centrée sur l’élévation du peuple par la recherche d’un épanouissement personnel. La diffusion des activités sportives est ainsi considérée comme un outil « d’instruction de la masse populaire qui nous fera une race meilleure, saine, confiante en sa résistance physique » et l’action culturelle comme un élèvement de la culture populaire par l’accès de tous aux œuvres valorisées de la société. Pour le sociologue Christian Maurel, le gouvernement s’inscrit dès lors dans une vision patrimoniale et non plus classiste de la culture. Celle-ci considère l’ensemble des pratiques culturelles issues du passé comme un patrimoine commun à s’approprier, qui tend à renforcer la place centrale d'une culture issue des classes dominantes. Cette évolution ouvre ainsi les débats sur les liens qu’entretiennent éducation populaire et démocratisation culturelle, et marque un pas dans sa spécialisation par l’âge (centrée sur des publics jeunes) et ses domaines d'action (associée à des activités de loisirs) dans les sphères institutionnelles.
Cependant, avec l’instauration du régime de Vichy en 1940 s’engage rapidement une restructuration des institutions éducatives sous l’égide de Pétain, autour de valeurs nationalistes, autoritaires et hiérarchiques. Pour encadrer la jeunesse dans la devise « Travail, Famille, Patrie », le régime tente de récupérer les mouvements apparus dans l’entre-deux guerres et créé en octobre 1943 l’agrément « Jeunesse et Éducation Populaire » qui les reconnaît et les subventionne. Celui-ci s’intègre dans une politique de jeunesse plus large, qui met en place des Écoles de Cadres, des Chantiers de Jeunesse et des Maisons de Jeunes pour réorganiser la société autour d’une relation hiérarchique au chef et diffuser les doctrines vichystes au plus grand nombre. Cette période voit apparaître de fortes ruptures entre les groupes collaborateurs incorporés par l’État et ceux qui rejoignent ou recréent des structures clandestines dans les réseaux de résistance.
À la Libération, la prise de consciences des horreurs du nazisme et de la non-corrélation entre niveau d'instruction et barbarie pousse nombre d’acteur·rices à réaffirmer la nécessité d’une éducation morale et politique. On assiste alors à un fort développement de mouvements d’éducation populaire indépendants qui s’organisent pour restructurer le territoire en développant des espaces d’entraide et d’éducation. En 1944 se crée par exemple la République des Jeunes qui deviendra la FFMJC quatre ans plus tard, fondée par des ancien·nes des mouvements ajistes, scouts et syndicalistes qui se réapproprient les Maisons des Jeunes de Vichy sur des bases d’autogestion associative. Ou encore Peuple et Culture, créé par des ancien·nes de ces mêmes mouvements mobilisé·es dans les maquis du Vercors, qui aident à la réorganisation de la région de Grenoble. Cette dynamique est amplifiée par la création au sein de l’éducation nationale d’un secteur dédié sous le nom de « Direction de l’Éducation Populaire et des Mouvements de Jeunesse » qui affirme également ce besoin du « plus jamais ça » dans les instances gouvernementales. Placée sous la direction de Jean Guéhenno, celle-ci se donne pour mission « d’inventer les conditions d’une éducation critique des jeunes adultes par les moyens de la culture populaire, ou encore “susciter par la réflexion et la pratique une attitude propice à l’éducation des adultes”. » L’agrément de Jeunesse et d’Éducation Populaire y est reconduit pour permettre le financement de ces mouvements indépendants, et prolonge l’institutionnalisation après guerre.
Si cet agrément accompagne le développement des mouvements dans un interventionnisme d’État modéré, un sujet aussi sensible que l’éducation au politique dans le contexte tendu d’après-guerre amène progressivement à de forts conflits d’intérêts. Selon Franck Lepage, « après le début de la guerre froide, la lutte entre gaullistes et communistes s’envenime. L’éducation des jeunes adultes constitue vraisemblablement un enjeu tel qu’aucun des deux protagonistes ne veut risquer que l’autre la contrôle. » En 1948 est décidé de sa fusion dans une « Direction Générale de la Jeunesse et des Sports » qui évolue par la suite au gré des ministères et des sous-secrétariat d’État. Il ne s’agit dès lors plus de promouvoir une éducation critique et politique mais bien de démocratiser l’accès aux activités sportives, au grand dam des militant·es de l’éducation populaire. « Cette évolution institutionnelle devait amener, d’une part, la mise à l’écart des mouvements de jeunesse “politiques”, d’autre part, la technicisation des actions entreprises, illustrée par l'avènement de l’animation socioculturelle ».
Ministère de la Culture et animation socioculturelle
Cette transformation institutionnelle s’amplifie dès le milieu des années 1950, avec la dilution de l'éducation populaire dans le secteur naissant de l’animation socioculturelle. Cette période, marquée par les politiques de reconstruction du territoire pour pallier à la crise du logement d’après-guerre, s’accompagne d’un développement exponentiel des infrastructures de vie collective initiées à la Libération. Foyers de Jeunes Travailleurs, Maisons des Jeunes et de la Culture, centre sociaux, maisons de quartier, bibliothèques, centres sportifs etc. maillent le territoire français et investissent espaces urbains et ruraux. Cet essor crée un besoin tout aussi important en personnel pour gérer et animer les équipements, et mène à la mise en place d‘une variété de diplômes de technicien·nes, d’animateur·rices, de médiateur·rices, de travailleur·euses sociaux·ales… Le développement institutionnel et la professionnalisation du secteur vont alors en achever sa dépolitisation. Ce nouveau corps salarial formé par l’État est embauché massivement par les collectivités et est souvent éloigné d’une culture associative et militante, ce qui tend à marginaliser les porteur·euses du projet d’éducation politique. De plus, cette éducation populaire d'État s’incarne dans une multitude de secteurs plus ou moins hermétiques et homogènes, segmentation qui contrevient au principe initial prôné par l’éducation populaire, à savoir développer une approche globale et généraliste. Les animateur·rices deviennent des pourvoyeur·euses de services auprès de publics ciblés, avec la nécessité de rentabiliser les infrastructures nouvellement acquises. Pour la sociologue Geneviève Poujol, c’est dans cette période que l’animation socio-culturelle apparaît et tend à se substituer à l’éducation populaire. « Le mot animation remplace celui d’éducation, marquant ainsi la fin de la référence au savoir, aux connaissances, à l’instruction, au profit d’une attention portée à une qualité relationnelle interindividuelle et collective. »
En parallèle de ces mutations, le secteur de l'action culturelle voit apparaître les débats autour de la politique de « démocratisation culturelle » menée par le Ministère de la Culture. Créé et placé sous la direction d’André Malraux en 1958, celui-ci affiche l’objectif ambitieux de réduire les inégalités sociales par la démocratisation de la culture. Dans le décret fondateur du ministère, Malraux fixe l’objectif de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, […] et de favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent. » Cette définition de la culture, réduite aux actes d’appréciation et de création de l’art, s’éloigne alors d’une conception anthropologique qui considère l’ensemble (et la spécificité) des savoirs socialement acquis par une personne lui permettant de comprendre et d'interagir avec le monde. L’objectif affiché par le ministère n’est alors pas d’assister un développement culturel critique et émancipateur tel que revendiqué par les militant·es de l’éducation populaire, mais bien d’encourager la diffusion des œuvres et pratiques culturelles socialement valorisées. Si l’éducation populaire est temporairement rattachée au Ministère de Malraux, elle retourne définitivement au Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1964. Cet épisode marque une séparation affirmée entre les pratiques culturelles portées par la figure sacralisée de l’artiste créateur·rices et les pratiques jugées amatrices de l’animation socioculturelle. Avec l’instauration de cette hiérarchie dans les sphères institutionnelles, la politique du développement culturel influée par le ministère tend à imprégner les mouvements d’éducation populaire. Pour Alexia Morvan, « “ la démocratisation culturelle “ (inspirée par le Ministère de la Culture dont les mouvements voudraient obtenir reconnaissance) marque l’effacement de la dimension conflictuelle de la culture et éloigne d’autres conceptions critiques, en particulier celles d’une éducation populaire engagée, telle que pratiquée au sortir de la deuxième guerre mondiale. »
Si cette évolution suscite de fortes critiques parmi les praticien·nes (et notamment pendant l’élan révolutionnaire de mai 68), ce n’est qu’à partir du milieu des années 1990 que celles-ci prendront une réelle ampleur. Face à l’intensification de cette dépolitisation dans les années 1980 qui voit l'introduction des logiques d’entreprise dans le milieu associatif, de nombreux acteur·rices commencent à dénoncer les effets néfastes de l’institutionnalisation, de la marchandisation et de la segmentation du secteur. La création d’ATTAC en 1998 ainsi que la mise en place d’une Offre Publique de Réflexion par le Ministère de la Jeunesse et des Sport (dirigé par la ministre communiste Marie-George Buffet) vont favoriser la relance des débats en cristallisant et diffusant les critiques.
L’exemple d’ATTAC est particulièrement manifeste. Définie comme une « association d’éducation populaire tournée vers l’action », l’organisation établit un lien entre éducation populaire et activité politique, position qui tranche radicalement d’avec celles défendues par les associations agréées. Fondée par Bernard Cassen et Ignacio Ramonet (tous deux passés par la direction du Monde Diplomatique), celle-ci prône une refondation de l’éducation populaire et centre son action sur une lutte pour la taxation des transactions financières internationales. Fondée sur la base d’une fédération de comités locaux, elle participe à la construction du débat sur les alternatives aux systèmes néo-libéraux par la production et la diffusion de contenu critique, ainsi que par la mise en place d’actions militantes. Cette prise de position politique publiquement revendiquée contraste, et tend à faire réagir. Également, la mise en place de l’OPR par Marie-George Buffet de 1998 à 2001 sur la place du travail de la culture dans la transformation sociale, participe au développement du débat sur le futur de l’éducation populaire. Coordonnée par le philosophe belge Luc Carton, celle-ci est alimentée par le travail de nombreux groupes de réflexion et aboutit en 2001 à la rédaction d’un rapport de synthèse sous la direction de Franck Lepage. Le rapport revient sur l’histoire de l’éducation populaire, développe une lecture critique de l’évolution du secteur dans les institutions, réaffirme la nécessité d’une approche politique de la pratique et propose des pistes d’organisation pour l’action publique. Si ce document n’a finalement que peu d’effet dans les instances ministérielles, il pose les enjeux du débat et permet des rencontres entre militant·es revendiquant des approches similaires.
De ces échanges vont ainsi naître une pluralité d’initiatives qui commencent à se revendiquer d’une éducation populaire politique, afin de marquer une distinction avec les pratiques institutionnalisées. Si elles sont encore peu nombreuses au début des années 2000, l’importante production d’analyses, de méthodes, d’interventions et de formations qu’elles génèrent tend à se diffuser rapidement. Un nombre croissant de coopératives et d'associations se réfèrent aujourd’hui à leur travail ou se revendiquent de ces positions. Parmi celles-ci, le mouvement des SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production devenue Société Coopérative et Productive) d’éducation populaire joue un rôle assez proéminent. La SCOP Le Pavé, créée en 2007 à côté de Rennes, est la première du genre. Constituée de travailleurs et de travailleuses associatifs originaires de l’animation socioculturelle (dont notamment Alexia Morvan et Franck Lepage) avec parfois une double casquette universitaire, la coopérative entend s’affranchir des carcans institutionnels pour re-développer une approche politique de l’éducation populaire. Le constat partagé par les huit membres est celui d’une dépolitisation de la pratique qui se matérialise par de gros écarts entre les discours revendiquant la participation des publics et la réalité du métier. Celui-ci est « plutôt de l’ordre de la domestication et de la paix sociale », explique Gaël Tanguy, permanent aux EEDF(Éclaireuses et Éclaireurs de France), ancien directeur de Maison des Jeunes et cofondateur de la SCOP. Selon lui, « on ne te demande pas de former les jeunes en citoyens conscients et responsables, on te demande de monter un local avec un baby, un billard et où on écoute de la radio ». Face à cette évolution, les membres développent et réhabilitent une quantité d'outils de conscientisation et d’organisation collective, ainsi qu’une production de contenu critique et réflexif qui sert de référence pour de nombreuses personnes du milieu et en dehors. Dissoute depuis 2014, le travail de la SCOP se prolonge aujourd’hui dans un réseau grandissant de coopératives. Celles-ci s’intègrent dans la nébuleuse d’initiatives qui participent activement à une évolution de l’éducation populaire vers une lutte contre les rapports sociaux de domination et la construction d’une capacité à se définir et agir comme sujet politique.
- Coopérative d’éducation populaire fondée en 2007 et dissoute en 2014, qui revendique une approche politique.
- CONDORCET Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique, présenté à l'Assemblée nationale les 20 et 21 avril 1792.
- Ibid.
- MORVAN Alexia, Pour une éducation populaire politique. À partir d’une recherche-action en Bretagne, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-Louis Le Grand, Université de Paris VIII, 2011, p. 18.
- Ibid.
- Ibid.
- BUISSON Ferdinand (sous la dir), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1911. Édition électronique numérisée sur le site de l’Institut Français de l’Éducation
- SANGNIER Marc, « L’éducation sociale du peuple », Discours, Paris, Bloud et Gay, 1910.
- DOS SANTOS Jessica, « Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire », in Revue du Nord, vol. 374, 2008, p. 63-76.
- « Le théâtre du Familistère », Le Familistère de Guise, 10/01/2019.
- PELLOUTIER Fernand, L’ouvrier des deux mondes, n° 15, 01/05/1898.
- LENOIR Hugues, « A l’origine du syndicalisme. Éduquer pour émanciper », Hugues Lenoir, 22/02/2014.
- Sport, « À la conquête de la santé », extrait du discours de Léo Lagrange lors de la conférence d’information du 9 octobre 1936, FSGT. D’après TERFOUS Fatia, « Sport et éducation physique sous le Front populaire et sous Vichy : approche comparative selon le genre », Staps, avril 2010, p. 49-58.
- CCAS, « Vous avez dit éducation populaire ? épisode 4 : la démocratisation de la culture », Vimeo, 2018.
- LEPAGE Franck, « De l’éducation populaire à la domestication par la “culture“ », in Le Monde Diplomatique, mai 2009, p. 4-5.
- Ibid.
- MARTIN Jean-Paul, « L’éducation populaire », in Une histoire de l’école : Anthologie de l'éducation et de l’enseignement en France XVIIIe-XXe siècle, Paris, Retz, 2010, p. 200.
- POUJOL Geneviève, SIMONOT Michel, « Militants, animateurs et professionnels : le débat "socioculturel-culturel" (1960-1980) », in Pierre Moulinier (dir.), Les associations dans la vie et les politiques culturelles, Paris, ministère de la Culture, Les travaux du DEP, 2001, p. 89-105.
- Décret fondateur du ministère de la Culture n°59-889, 1959.
- MORVAN Alexia, Pour une éducation populaire politique. À partir d’une recherche-action en Bretagne, op.cit., p. 45.
- CHATEIGNER Frédéric, « Une troisième vie de l’éducation populaire ? Les relances des années 1990-2000 », 2013.
- DAVID Jacques Louis, Le serment du jeu de Paume, 1792, Musée Carnavalet, Paris.
- Association Philotechnique, Médaille de premier prix de diction, 1899, Musée national de l’Éducation, Rouen.
- GONIN J, Colleurs d’affiches pour Le Sillon, circa 1905.
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- Trophée de l’atelier d’ajustage du Familistère, 1881, Archives du Familistère de Guise.
- Bourse du Travail de Paris, 1 mai 1906, Rue des Archives.
- Cortège de la JOC·F, Archives de la JOC·F.
- BILLAUDEL Robert, « Une histoire de l'ajisme et des auberges de jeunesse par ceux qui les ont fait vivre », Youtube, 2016.
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- Union Peuple et Culture, « Itinéraire d'un humaniste : Joffre Dumazedier », Youtube, 2017.
- [Extrait] LEPAGE Franck, « Inculture(s) 1. L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu ! Une autre histoire de la culture », 2006. [2:43:50 - 3:06:30]
- Cohésion territoires & Relations collectivités, « Film d'archive. Actualités de 1952 Reconstruction de la France sept ans après la fin de la seconde guerre mondiale. État des lieux de la crise du logement », Dailymotion, 2011.
- Ina Culture, « Angoulême : la MJC », 1972.
- ORTF, « Discours d'André Malraux et de Charles de Gaulles sur la culture », Ina, 1965.
- RTF, « Les Maisons de la Culture », Ina, 1964.
- ATTAC, Cortège d’ATTAC lors du mouvement social contre la réforme des retraites, 2020.
- Onpassealacte!, « Franck Lepage et Gael Tanguy: créer une nouvelle forme d'éducation populaire (version longue) », Youtube, 2017.
L'éducation populaire politique
Une autre vision de la culture
À l’inverse d’une vision de la culture réduite aux pratiques de création et de consommation artistiques, les tenant·es d’une éducation populaire politique définissent celle-ci comme l’ensemble des éléments socialement acquis par un individu lui permettant de comprendre son environnement. Ainsi, pour le sociologue, militant associatif et théoricien de l’éducation populaire Christian Maurel, « est cultivé celui qui possède les savoirs et les méthodes, les modèles esthétiques et d’organisation lui permettant de comprendre sa situation dans le monde, de la décrire, de lui donner un sens et de la transformer. » Il s’agit donc ici de considérer la culture comme étant l’ensemble des référentiels dont une personne dispose pour comprendre la société dans laquelle elle s’inscrit.
Si la politique de « développement culturel » portée par l’État mène à une contre-éducation qui reproduit les rapports sociaux par sa neutralité, l’éducation populaire vise quant à elle un développement des outils de compréhension de chacun·e par une lecture critique de la stratification sociale et des rapports de pouvoirs qui s’y exercent. Franck Lepage décrit ainsi clairement le décalage entre ces deux visions : « On peut distinguer deux conceptions de l’action par la culture : “l’action culturelle”, qui vise à rassembler autour de valeurs “universelles“, consensuelles (l’art, la citoyenneté, la diversité, le respect, etc.). Et l’éducation populaire, qui vise à rendre lisibles aux yeux du plus grand nombre les rapports de domination, les antagonismes sociaux, les rouages de l’exploitation. » Cette lecture critique des antagonismes occupe donc une place centrale, et s’inscrit d’une vision plus large qui se donne pour objectif l’émancipation de ces rapports de domination par une transformation sociale des structures qui les produisent et des relations interindividuelles qui les matérialisent. Alexia Morvan décrit ainsi les liens qu’entretiennent ces différentes notions : « Je nomme éducation populaire un ensemble de moyens culturels, de processus d’apprentissage mutuels et d’inter-influences, qui visent à entretenir dialectiquement l’esprit critique sur la réalité sociale et les pratiques d’émancipation pour la transformation sociale. »
Afin de construire cette émancipation, l’éducation populaire politique se réfère à une vision plurielle du peuple qui se polarise autour de deux grandes conceptions. D’une part le peuple au sens démocratique du terme qui recouvre un corps d’individus amenés à construire collectivement une gouvernance, et d’autre part le peuple pensé comme une entité protéiforme, composée d’une pluralité de groupes sociaux qui se constituent dans des rapports de dominations. L’objectif est donc autant de s’émanciper des relations hiérarchiques liées à la gestion du pouvoir décisionnel que de transformer les rapports d’oppression qui s’exercent dans nos organisations sociales, l’un et l’autre étant étroitement liés. Cependant, il faut préciser que cette notion d’oppression a beaucoup évolué depuis les débuts de l’éducation populaire au XIXe siècle. Si elle était principalement considérée dans un rapport de classe compris comme une exploitation économique du prolétariat, elle est aujourd’hui alimentée par des travaux issus des sciences humaines et des mouvements sociaux qui considèrent de manière plus large les mécanismes d’oppression, les groupes touchés ainsi que les liens qui existent entre ces diverses formes d’oppression. Si l’objectif n’est pas de dresser ici une liste des ces groupes ni des imbrications qu'entretiennent ces différents rapports, il s’agit surtout de comprendre le lien étroit qu'entretient ce schéma de pensée que l’on peut qualifier de structuraliste, avec la notion d’émancipation portée par l’éducation populaire. À l’inverse d’une approche essentialiste, celle-ci considère l’influence de nos structures sociales et de nos institutions qui les produisent comme centrale dans la construction de ces oppressions. Elles ne résultent donc pas nécessairement d’un pouvoir autoritaire mais de l'organisation même de la société, et vient par conséquent influencer nos comportements et nos modes de pensée que l’on soit issu·e d’un groupe socialement dominant ou dominé. Il s’agit donc d’en comprendre les intrications structurelles afin de lutter contre ses manifestations quotidiennes et systémiques, d’éviter soi-même de les reproduire et d’apprendre à transformer nos organisations pour s’en affranchir.
L’émancipation étant également considérée comme un processus, il s’agit non pas d’en mettre de côté les principes fondamentaux le temps d’une transformation sociale mais bien de s’appuyer sur ceux-ci pour être en mesure de la mener à bien. Si cette précision peut paraître accessoire, elle amène en réalité à une remise en question de la relation d’apprentissage qu’entretiennent enseignant·es et apprenant·es, ainsi que de la définition même de ces catégories. Dans la déclaration de Villeurbanne, écrite en plein élan de mai 1968 par 34 directeur·rices de théâtres et de Maisons de la Culture, ces dernier·es dénoncent la politique malrucienne et questionnent la notion de public telle que portée par le ministère. Ils et elles déclarent ainsi : « Tout effort d’ordre culturel ne pourra plus que nous apparaître vain aussi longtemps qu’il ne se proposera pas expressément d’être une entreprise de politisation c’est-à-dire d’inventer sans relâche, à l’intention de ce "non-public", des occasions de se politiser, de se choisir librement, par-delà le sentiment d’impuissance et d’absurdité que ne cesse de susciter en lui un système social où les hommes ne sont pratiquement jamais en mesure d’inventer ensemble leur propre humanité. »
À travers le terme de « non-public », ils et elles rappellent que l’éducation populaire ne peut être comprise comme un remplissage d’activités destinées à un public ciblé. À l’inverse de l’éducation nationale qui favorise un certain capital culturel, l’éducation populaire se comprend comme une posture d’accompagnement qui considère la spécificité des référentiels et des situations de chacun·e. Il ne s’agit pas de venir émanciper une personne ou un groupe, mais d’accompagner le cheminement vers la construction d’une pensée critique et d’une autonomie politique. Cette approche amène par conséquent à la mise en place d’une pluralité d’outils, de supports et de cadres bien spécifiques.
Comprendre les rapports de domination
L’éducation populaire politique qui considère la prise de conscience des rapports de domination comme partie prenante du processus d’émancipation prône un apprentissage ancré dans la notion de conscientisation. A l’inverse d’une simple mise à disposition de ressources (qui reproduit un rapport hiérarchique entre celles et ceux qui enseignent et celles et ceux qui apprennent sans pour autant surmonter l’inégal accès au savoir), celle-ci propose de partir de l’expérience vécue ou racontée de l’oppression pour opérer une rencontre avec un savoir théorique.
On retrouve dans les travaux de Paulo Freire un développement important de la notion de conscientisation comme concept pédagogique d’apprentissage ancré dans une perspective d’émancipation sociale. Comme le rappelle la sociologue Irène Pereira, « si [celui-ci] n’est pas le premier auteur à avoir utilisé la notion de conscientisation, c’est cependant sans doute à lui que l’on doit le fait que cette notion soit rentrée dans le langage courant. » Ce pédagogue brésilien, professeur d’histoire et de philosophie, expérimente et théorise les principes d’une éducation qualifiée de conscientisante autour de méthodes d’alphabétisation à destination de personnes adultes illettrées. Implanté à la fin des années 1950 dans les campagnes populaires du Brésil puis du Chili, il est chargé par les gouvernements respectifs de développer l’apprentissage des lettres aux populations paysannes n’y ayant alors pas accès. Face à la domination économique subie dans les milieux agricoles, Freire conçoit sa méthode éducative comme une alphabétisation critique, qui vise une compréhension par les publics opprimés de leur position dans les structures sociales. À l’inverse d’une vision humaniste et descendante qui apporte le savoir dans un rapport hiérarchique, Freire aborde alors la conscientisation comme une pratique éducative réciproque qui s’ancre dans le vécu des personnes concernées pour acquérir une « conscience critique ».
Si Freire théorise et expérimente des formes de pédagogies conscientisantes dans la seconde moitié du XXe siècle, on retrouve des approches similaires de l’éducation dans le travail du pédagogue français Célestin Freinet dans l’entre-deux-guerres. Enseignant et syndicaliste, ce dernier défend au sein du mouvement des pédagogies nouvelles la nécessité d’un apprentissage inscrit dans ce qu’il appelle « l’école du peuple ».
Dans une analyse comparée des discours des deux pédagogues, Gauthier Tolini revient sur les liens et complémentarités qu’entretiennent leurs visions de l’enseignement. À l’inverse d’une éducation prétendument « neutre », tous deux revendiquent la nature intrinsèquement politique de tout projet éducatif, en tant que produits d'humains inscrits et influencés par les systèmes idéologiques dans lesquels ils s’inscrivent. Dénonçant le principe de neutralité, ils affirment même sa partialité dans la reproduction des rapports de dominations dans le sens où elle empêche - sous couvert d’objectivité - d'aborder les questions sociales qui les mettent à jour. Ils prônent alors la nécessité pour les enseignant·es d’affirmer leurs positions idéologiques, tout en intégrant des moyens de limiter les risques de manipulation que comporte l’introduction de réflexions politiques construites sans prise de recul.
En intégrant la réalité sociale des apprenant·es, Freinet dans ses classes de primaire et Freire dans sa méthode d’alphabétisation des adultes instaurent alors un processus d’émergence d’une conscience critique, au service d’une émancipation intellectuelle qui s’inscrit dans les référentiels culturels de chacun·e. Cette vision politique de l’éducation ancrée dans un rapport d’apprentissage horizontal caractérise les pédagogies conscientisantes, dont les résonances dans les milieux scolaires et militants sont encore aujourd’hui très fortes.
Célestin Freinet et le mouvement des pédagogies nouvelles
Intégrer la réalité sociale des élèves à l’école, pratiquer l’autogestion.
Fin du XIXe apparaît le mouvement des pédagogies nouvelles qui dans la filiation des idées rousseauistes sur l’éducation revendique un apprentissage à rebours des pédagogies traditionnelles. Pointant du doigt l’inefficace hiérarchisation des relations maître·sses/élèves, qui broient les individualités et enferment dans un rôle passif d’apprentissage, ces pédagogues s’attellent à recentrer leurs pratiques éducatives sur les spécificités de chaque apprenant·e. Ils et elles considèrent alors que le rôle de l’enseignant·e n’est plus de remplir des vases mais de construire des cadres et des situations qui suscitent la curiosité, favorisent les modes d’expression personnels et incitent à la participation. Entre approche transversale des disciplines et autonomisation des élèves, Decroly, Montessori, Dewey et bien d’autres posent les bases des méthodes actives et autres innovations pédagogiques.
Parmi ces pédagogues, Célestin Freinet apporte dès les années 1920 sa pierre à l’édifice. Né dans une famille paysanne modeste du village de Gars, il obtient son diplôme d’instituteur en 1914. Rapidement mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, il ressort comme nombre de ses contemporain·es durablement marqué par la violence des combats. Lourdement blessé dans les tranchées, il est reconnu mutilé de guerre à 70%. Souhaitant alors poursuivre son activité d’instituteur, il demande à être muté en campagne dans un endroit adéquat à son état de santé. Enseignant à Bar-sur-Loup puis à Vence, il rejoint le mouvement des pédagogies nouvelles où il théorise et applique sa vision de l’enseignement. Entre « tâtonnement expérimental » et « méthodes naturelles » il prône alors l’utilisation d’outils sobres et peu coûteux pour développer l’expression individuelle et la coopération de groupe. L’imprimerie à l’école, la correspondance entre élèves, ou encore le journal scolaire sont autant de supports éducatifs qui font sa renommée (encore aujourd’hui) et distingue sa pédagogie des pratiques technicistes et onéreuses développées par certain·es de ses contemporain·es.
Bien que membre du mouvement des pédagogies nouvelles, son affirmation du rôle politique de l’éducation le rapproche d’une conception de l’enseignement que l’on retrouve chez les pédagogues libertaires, comme Paul Robin ou Francisco Ferrer. Au-delà des expérimentations pédagogiques, ces derniers pointent de façon critique le rôle déterminant de l’éducation dans la reproduction des rapports sociaux et son utilisation par les instances étatiques ou religieuses. A l’inverse d’une éducation mystique ou courroie de transmission d’une culture patriotique, ils considèrent l’enseignement comme levier d’une transformation sociale qui émancipe par le refus du dogmatisme et la construction de postures critiques.
Dans une approche similaire, Freinet porte une analyse de classe de l’éducation nationale dans laquelle il nomme de façon très précise la gestion capitaliste de l’école au service des intérêts bourgeois et républicains. Parmi ses nombreux articles sur le sujet, il déclare ainsi : « cette école se ressentira toujours de ses origines capitalistes : on n'y attachera qu'une infime importance à la formation de l'homme ; on n'y fera pas ou presque pas d'éducation. Par contre, on voudra donner beaucoup d'instruction, et toujours davantage à mesure que s'accroissent les nécessités de la concurrence capitaliste. » Il dénonce alors le double objectif de l’école républicaine : former de la main d’œuvre qualifiée pour une production toujours plus techniciste tout en inculquant les bases d’une morale patriotique.
Face à un système éducatif qui privilégie l’accumulation de savoirs techniques au détriment du développement de l’être, il affirme la nécessité d’une « école prolétarienne », dédiée à l’enseignement émancipateur des enfants les plus démuni·es. Considérant l’éducation comme la clé de voûte de la transformation sociale, cet endroit « est l’affirmation de sa volonté de faire de l’école un outil d’émancipation matérielle et intellectuelle [...] où les enfants du peuple doivent apprendre à prendre en main leur destin. » Il s'agit dès lors de former des personnes aptes à comprendre et participer à la vie en société pour être en mesure de la transformer. Freinet développe une approche qui vise tant à donner aux enfants des outils de compréhension de leur milieu social qu’à pratiquer la démocratie par la gestion de leur environnement de travail. Comprendre le monde tout en le pratiquant d’une façon différente permet ainsi d’outiller les élèves pour leur permettre d’agir en faveur d’une transformation de leurs conditions de vie. Parmi le large panel de méthodes utilisées et développées par Freinet, le modèle de la coopérative scolaire et les enquêtes sur le chômage sont des exemples particulièrement parlant du lien étroit qu'entretiennent actions et réflexions dans sa pratique pédagogique.
Ainsi, quand Freinet défend le principe de la coopérative scolaire, il entend par là une « gestion par les usagers, l'éducateur compris, de la vie et du travail scolaire ». Il prône ici dans la lignée de ses idées communistes la nécessité d’une autogestion de l’outil de production par les personnes qui le composent et l’utilisent. En opposition à une « démocratie capitaliste » ancrée dans les classes de l’école républicaine, Freinet est persuadé de la nécessité d’une socialisation de l’école sur la base d’un travail coopératif qui prépare les élèves à gérer collectivement leur espace de vie. En créant des conseils d’élèves réunis sur des bases régulières, ces dernier·es sont amené·es à discuter, voter, et modifier l’ensemble des décisions relatives à la bonne marche de la vie de la classe.
Dans ces conseils est ainsi traité un panel très large de thématiques, sur l’organisation de l’imprimerie, la gestion du potager et de la basse-cour ou encore la programmation des sorties et de certains contenus pédagogiques. Cela implique tant des questions matérielles liées au coût des consommables que des problématiques liées à la répartitions des tâches et des quantités de travail. En s’occupant de ces questions financières, pédagogiques et disciplinaires, chaque élève devient co-gestionnaire de la micro-société de la classe, constituée sur une base appliquée de démocratie directe. Le rôle de l’enseignant·e devient alors celui d’un·e accompagnateur·rice, qui suit individuellement les élèves, aide à organiser les cadres de travail et de réflexion et veille à l’application des lois votées. La coopérative sert donc pour Freinet le double objectif pédagogique et politique d’autonomiser l'élève et de développer « une aptitude à coopérer dont le socialisme futur aura besoin. Son affranchissement individuel est mis au service d’un affranchissement plus large, celui de la classe sociale à laquelle il appartient. »
Au-delà des questions relatives à la gestion de l’outil de travail et de la vie en société, Freinet se penche également sur les conditions matérielles d’existence des élèves en dehors de l’école. Il propose ainsi en 1932 une enquête à destination des enfants du réseau des pédagogies nouvelles sur la question du chômage, qui pose les bases d’une réflexion plus générale sur la nécessité d’un enseignement ancré dans la réalité sociale des apprenant·es. C’est face aux suppressions de postes massives des années 1930 qui empêchent nombre de parents de subvenir aux besoins de leur famille que Freinet constate l’impossibilité pour plusieurs de ses élèves de manger quotidiennement à leur faim. Devant l’incompréhension des enfants, il remarque que si le problème les touche directement, ils n’en ont malgré tout qu’une conception qu’il qualifie de « subconsciente ». Il affirme alors la nécessité d’orienter « les enfants vers la compréhension sociale, en les habituant au raisonnement sain, en commençant à former leur esprit critique, en les plongeant toujours davantage dans leur milieu et en les habituant à réagir contre ce milieu ».
Pour amener à cette prise de conscience des causes de la faim vécue, Freinet leur propose de répondre à une enquête sur les liens qu’entretient celle-ci avec la condition de chômeur·euse subie par leurs parents. Au travers d’une série de questions à destination d’enfants d’ouvrier·es, de paysan·nes mais également d’autres professions non atteintes par le chômage, Freinet les amène à raconter les difficultés vécues, à se questionner sur leurs causes mais également à proposer des solutions. Ils sont ainsi conduits à se questionner sur les conséquences de l’évolution des salaires et du coût de la vie sur leurs foyers mais aussi à devenir acteur·rices d’une réflexion visant à s’en affranchir. Au-delà des enfants d'ouvrier·es et de paysan·nes, « cette enquête permet également aux enfants des milieux épargnés par le chômage de prendre conscience de la pauvreté en allant à la rencontre d’autres familles. » A l’inverse de l’école publique qui favorise un capital culturel issu des classes dominantes, Freinet ancre alors son enseignement dans la réalité sociale de ses élèves et les outille pour être en mesure de la transformer.
Paulo Freire et l’éducation conscientisante
Un apprentissage dialogique pour une émancipation à destination des adultes.
« Les rêves de Freinet sont aussi mes rêves. Il y a concordance de nos rêves et de nos objectifs : la lutte, l’engagement permanent pour une éducation populaire, pour une école qui tout en étant sérieuse n’a pas honte d’être heureuse » déclare Paulo Freire à propos du pédagogue français. Né en 1921 dans une famille de classe moyenne de la région du Pernambouc au Brésil, Freire fait des études de droit et devient rapidement professeur à l’université de Recife. Il y expérimente dès la fin des années 1940 les bases d’une méthode d'alphabétisation à destination des adultes, avec un enjeux de taille : le Brésil compte 40 millions d’analphabètes que la Constitution n’autorise pas à voter. Face aux résultats extrêmement prometteurs de ses expérimentations, le gouvernement de Joao Goulart officialise la méthode en 1963 et place Freire en charge de l'alphabétisation du pays. Il rejoint alors la région la plus pauvre du Nordeste qui compte 15 millions d’analphabètes sur 25 millions d’habitant·es où il développe ses idées d’une « alphabétisation politique ». Rapidement rattrapé par le coup d’état militaire de 1964, Freire est contraint de fuir et s’exile alors au Chili, où le gouvernement démocrate d’Eduardo Frei vient d’arriver au pouvoir. Ce dernier, souhaitant insérer les paysan·nes chilien·nes dans les structures nouvellement créées lors de la réforme agraire du pays, place Freire en charge de leur alphabétisation. Suite à quatre années de travail, il écrit en 1968 Pédagogie des Opprimés, son ouvrage majeur où il revient sur les fondements de sa méthode qu’il qualifie de conscientisante. Son parcours l’amène ensuite aux Etats-Unis où il occupe divers postes, notamment à l’Unesco et Harvard. Il fera alors la rencontre de militantes afro-féministes comme bell hooks, qui l’ouvriront aux questions d’intersectionnalités et le feront passer d’une grille de lecture purement marxiste aux croisements qu’entretiennent les questions de classe, de race et de genre. S’il revient par la suite de façon critique sur Pédagogie des Opprimés (notamment sur la masculinisation du langage employé), cet ouvrage demeure néanmoins central dans son influence sur le mouvement des pédagogies critiques et sur les méthodes utilisées par les praticien·nes d’une éducation populaire politique.
Partant d’une critique de ce qu’il nomme « l’éducation bancaire », Freire dénonce à l’image de Freinet la hiérarchie dans la relation maître/élève promue au sein les pédagogies traditionnelles. L’enseignant·e voyant alors les apprenant·es comme des « bouteilles vides » à remplir dont le niveau de succès dépend de leur docilité, « l’éducation devient un acte de dépôt où les élèves sont les dépositaires et l'éducateur le déposant ». Ce rôle passif de l’élève qui ne reçoit le savoir qu’au travers de situations transmises et souvent éloignées de sa réalité l’empêche alors d’agir comme acteur·rice du monde dans lequel il·elle vit. Limité·e à l’accumulation de connaissances extérieures, celui·celle-ci voit son esprit critique s’atrophier au profit d’une capacité d’adaptation et d’intériorisation d’une « réalité parcellaire contenue dans les “dépôts” reçus. » Dans le cas où cette éducation est reçue par une personne issue d’un groupe socialement dominé, sa nature partielle, segmentée et ancrée dans un imaginaire culturel issu des classes dominantes, tend par conséquent à « endoctriner, dans le sens d’une accommodation au monde de l’oppression ». Freire affirme ainsi que cette éducation bancaire se fait au service de la domination car elle reproduit - consciemment ou non - les hiérarchies sociales, en incorporant les opprimé·es dans les codes d’un système qui empêche le développement d’une posture critique qui leur permettrait de le remettre en cause.
Afin de permettre l’émergence d’une connaissance ancrée dans des référentiels propres à la réalité de chaque apprenant·e, il affirme la nécessité d’une éducation conscientisante qui doit se débarrasser de la relation verticale qu’entretiennent le maître et ses élèves. Considérant que « le savoir ne s’acquiert que dans l’invention, la réinvention, dans la recherche tendue, impatiente, permanente que les hommes font de leur monde », Freire propose aux enseignant·es d’endosser le rôle de compagnon·ne qui considère pleinement la capacité créative des participant·es. En opposition à l’éducation bancaire, il prône alors un apprentissage dialogique, centré sur l'échange comme outil de cheminement commun dans lequel les postures de maître·sse et d’élève s’alternent. Les éléments apportés par l’éducateur·rice tout comme les expériences vécues relatées par les élèves sont considérées comme objets de connaissances et deviennent des bases d’une réflexion collective critique. C’est donc dans une posture d’écoute et de dialogue que peut s’opérer une appropriation de la parole nécessaire à la construction d’un enseignement émancipateur. « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde » déclare-t-il ainsi dans cette célèbre mais non moins évocatrice formule.
Ainsi, en partant d’une situation de la vie quotidienne choisie par le groupe, enseignant·es et apprenant·es construisent des couches successives d’analyses, dont les premiers niveaux consistent à en confronter les visions personnelles. Les écarts de perception qui émergent dans les différentes histoires font alors prendre conscience de la pluralité des réalités vécues et permettent de construire une première couche de compréhension plus globale de la situation. L’encadrant·e peut alors introduire des notions théoriques aux participant·es, qui fort·es d’une conscience plus claire de leur environnement, peuvent se l’approprier et comparer sa pertinence avec la situation vécue, limitant ainsi le risque de propagande que comporte l’introduction d’une réflexion déjà construite. À chaque étape et situation, participant·es et encadrant·es sont ensuite amené·es à proposer des solutions d’amélioration ou de résolution du problème, permettant d’alimenter le débat tout en amenant de potentielles transformations concrètes du quotidien. Freire décrit ainsi la pédagogie conscientisante comme une « praxis » qui lie indissociablement action et réflexion (l’un sans l’autre relevant du « bavardage » ou du « militantisme »).
En construisant ces couches d’analyses successives, la conscientisation fait alors émerger des niveaux de conscience plus affinés dans laquelle les apprenant·es consolident leur compréhension des liens de causalité qu’entretient leur situation avec la société. Freire propose alors des aller-retours réguliers pour comparer ces consciences nouvellement acquises aux consciences antérieures. En constatant l'évolution de leurs réalités perçues, les apprenant·es acquièrent une lucidité du processus de construction de cet esprit analytique tout en développant progressivement des outils nécessaires pour aborder de façon critique les prochains apports collectifs et théoriques.
Ce processus de conscientisation permet alors de passer d’une « conscience naïve » à une « conscience critique ». La première, que Freire définit comme une conscience simple qui aborde le quotidien de façon superficielle « n’approfondie pas la causalité du fait lui-même. Ses conclusions sont rapides et superficielles. » Si celle-ci permet au sujet de comprendre l’oppression qu’il peut subir, elle trouve sa limite dans le sens où « elle tend à appréhender la réalité sociale en termes de relations interpersonnelles. [...] Vu sous cet angle, le sexisme, par exemple, ne serait que l’effet du comportement de quelques individus machos ». A l’inverse la conscience critique se matérialise dans une posture qui manifeste « un désir de profondeur dans l’analyse des problèmes », « remplace les explications magiques par des principes authentiques de causalité » et « suppose la prise de conscience que les situations vécues d’oppression renvoient à des réalités sociales systémiques. »
À l’image de la pédagogie conscientisante de Freire, le passage à une lecture structuraliste de l’organisation sociale pour comprendre les implications interindividuelles d’une oppression constitue un élément central dans la pratique de l’éducation populaire. On retrouve ainsi une analogie récurrente entre les « savoirs chauds », issus du vécu, et les « savoirs froids », issus de la théorie comme des éléments à faire interagir en fonction des situations de chacun·e. Pour cela, les praticien·nes de l’éducation populaire s’appuient sur une approche dialogique qui s’alimente par une pluralité de supports, allant du livre à la scène, en passant par le théâtre ou l’audiovisuel. Parfois issues de l’histoire des mouvements d’éducation populaire ou des pédagogies nouvelles, parfois développées plus récemment par les praticien·nes, ces méthodes sont continuellement transformées et adaptées, et se pratiquent tant dans des moments dédiés que comme compléments articulés à des formations et interventions. La suite de cette partie présente une sélection de quatre outils d’éducation populaire, que j’ai eu l’occasion de découvrir pendant ma phase de recherche en y participant ou en échangeant avec les personnes les pratiquant.
Le documentaire - Un outil d’échange et d’analyse pour construire un discours critique
Entretien avec Anne, membre des Lucioles du Doc
Créée en 2014, Les Lucioles du Doc est une association d’éducation critique à l’image et d’éducation populaire basée dans le 19ème arrondissement de Paris, qui s’appuie sur la pratique du documentaire pour aborder des questions politiques. Le travail porté par les membres consiste d’une part à utiliser la projection de films comme un support de débat, et d’autre part à mettre en place des ateliers de documentaire, dans lesquels sont mis à disposition des outils pour construire et transmettre un discours critique collectivement travaillé par le dialogue et l’enquête. À l’occasion des portes ouvertes de l’association en novembre 2019, quelques membres proposent un court atelier d’initiation aux techniques de documentaire audiovisuel auquel je décide de me rendre. C’est l’occasion de rencontrer Anne, salariée des Lucioles qui accepte de répondre à mes questions sur son parcours et sur le travail que mène le collectif.
Quelles sont les étapes de ton parcours qui t'ont amenée à vouloir travailler dans cette association ?
J’ai fait des études de sciences politiques et j’ai ensuite décidé de reprendre un master de réalisation de cinéma documentaire. À la fin de cette année, j’ai reçu un mail d’une ancienne qui nous proposait de devenir bénévoles des Lucioles pour un projet très particulier, qui s’est étalé sur deux ans. Il consistait à aller dans trois lieux différents qui étaient une prison, un lycée et un chantier d’insertion, pour réfléchir à ce qu’est une Constitution. En discutant par message vidéo, les trois groupes ont été ensuite amenés à créer la leur. Cette expérience a donné lieu à un film qu’on a réalisé et qui s’appelle « Rousseau, la Mode et la Prison ». Pendant un an j’ai donc aidé à animer des ateliers à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis toutes les semaines. C’était un gros investissement, qui a été ma première interaction avec les Lucioles. À l’issu de ça, j’ai continué à mener mes propres projets tout en étant bénévole, pour finalement postuler et devenir salariée de l’association.
Au moment où je terminais mon master, je n’étais pas du tout dans la perspective d'utiliser le cinéma documentaire en tant que réalisatrice mais plutôt comme un outil, ce qui correspondait bien à la vision de l’association. Après je ne connaissais pas du tout l’éducation populaire et je n’avais jamais entendu ce terme là : je suis arrivée vraiment novice sur le sujet. Quand j’ai intégré l’asso, le hasard du calendrier a fait que j’ai commencé par une formation de deux jours avec une SCOP qui s’appelle Le Pavé. On a eu avec eux une initiation/approfondissement aux outils d’éducation populaire qui a été une bonne introduction.
Est-ce que ce sont des outils que vous réutilisez dans votre pratique du cinéma documentaire ?
C’est un peu plus complexe. Aux Lucioles, il y a vraiment deux blocs. Le premier c’est d’essayer de rendre plus visible le cinéma documentaire parce qu’on estime que c’est un outil hyper efficace pour sensibiliser les gens à des questions de société (l’approche par le cinéma touche la sensibilité des personnes). Dans cette objectif, on fait un travail d’éducation à l’image en expliquant que le cinéma est le regard spécifique d’une personne sur un sujet et n’est en aucun cas une vérité absolue. Le deuxième est la question de l'éducation populaire pour une émancipation politique. On essaie donc de faire dialoguer les deux en utilisant le cinéma comme un outil qui sert à émanciper les personnes.
Dans cette optique, on peut utiliser ces outils d’éducation populaire dans les ateliers qu’on organise. Néanmoins, il faut faire attention à ce qu’ils ne deviennent pas uniquement des méthodes d’animation. C’est une chose d’apprendre à s’en servir, s’en est une autre de les utiliser de façon à conscientiser les personnes. Tout notre travail quand on créé un atelier est de reprendre ces outils et de se poser la question de leur utilité réelle pour le groupe, dans une perspective d’émancipation.
Quels sont les objectifs des ateliers que vous organisez ?
L’idée est d’animer des ateliers d’éducation populaire via le documentaire, qui peut être sonore, vidéo, photo, textuel ou un mélange de plusieurs de ces médiums à la fois, dans lesquels on place la notion d’émancipation collective comme quelque chose de central. On considère que c’est parce que les personnes sont réunies en groupe et que des échanges auront lieux qu’il y a une prise de conscience des dynamiques qu’elles subissent ou peuvent faire subir. On va donc travailler sur ce qui unit ces personnes-là. Si on est très attachés à cette notion de collectif, c’est parce qu'on vit dans une société qui s’individualise énormément. L’éducation populaire était à l’origine un outil d'émancipation pour la classe ouvrière qui - chose importante - se considérait comme telle. Ils et elles dénonçaient ainsi des violences systémiques appliquées dans un rapport de classe. Aujourd'hui, cette conscience de classe est quasiment inexistante et c’est là-dessus que l’on essaye de travailler. Mais notre idée n’est plus de passer uniquement par l'oppression liée au travail chez des ouvriers ou employés des classes moyennes mais de considérer des violences systémiques subies par des groupes de personnes divers qui se matérialisent par des trajectoires analogues.
Par exemple, nous travaillons en ce moment avec un groupe de femmes dans le 18ème arrondissement. Sans nier les cas individuels, on constate que des trajectoires similaires apparaissent dans leurs parcours de vie. L’idée est donc de les mettre à jour par le dialogue, pour amener à une prise de conscience collective.
Peux-tu détailler plus précisément le travail que vous faites avec ces femmes ?
Dans ces ateliers on utilise des outils d'éduc pop et du documentaire pour faire ressortir les similitudes qui apparaissent dans les récits de vie de chacunes. Par exemple, on parlait la dernière fois de ce qu’est le travail rémunéré ou non-rémunéré en tant que femme. Evidemment, la question d’être femme au foyer est ressortie automatiquement. Pour aucune d’entre elles, le mari ne s’est posé la question de s’arrêter de travailler pour élever ses enfants. Ce sont elles qui ont dû s’y consacrer.
Cela a amené énormément de questions pour comprendre leur situation : Dans quelle mesure se sont-elle arrêtées ? Est-ce qu’elles ont pu s’arrêter ? À quelle fréquence ? Est-ce qu’elles ont repris le travail par la suite ? Bien entendu, ce constat que les femmes s’arrêtent de travailler ne nous a pas surprises, mais le fait d’échanger permet d’affiner : Quelle a été la place de l’homme dans le couple ? Quelles ont été les pressions qu’elles ont pu subir pour arrêter ? Il y a plusieurs éléments dont on parle souvent moins, qui sont alors apparus comme la pression familiale ou le regard de leur entourage.
Le fait de se retrouver ensemble et d’en discuter permet ensuite de créer une force collective, qui peut amener à des actions de natures très différentes. Par exemple, on a réalisé un documentaire sonore avec ce groupe de femmes qui va être diffusé pour la journée du 8 mars. En présentant cet échange collectif, cela permet de déplacer la discussion et de le faire écouter à d’autres, pour enrichir le débat. De même, les femmes sensibilisées à ces questions peuvent ensuite adopter une posture différente en étant attentive à des trajectoires individuelles de femmes autour d’elles. En terme d’action, ça peut être aussi d'aller faire des collages dans la rue pour visibiliser des pressions qu’elles subissent, ou inviter des personnes de leurs entourages à participer aux discussions. Finalement, l’émancipation politique c’est avant tout ça : la discussion, la conscientisation, et enfin l’action. C’est le schéma vers lequel on essaye de tendre.
L’Arpentage - S’approprier collectivement un savoir théorique
Comment comprendre et s’approprier un livre, même en étant fatigué·e par une longue journée de travail ? C’est à cette question que tente de répondre la méthode de l’arpentage, inventée et pratiquée dans les cercles d’études du mouvement ouvrier au XIXe siècle. Cette technique collective de « désherbage » se donnait pour objectif d’encourager et faciliter la lecture de textes théoriques complexes à la sortie de l’usine. Remise au goût du jour dans les maquis du Vercors par les membres fondateur·rices de Peuple et Culture, elle est depuis pratiquée par de nombreuses associations d’éducation populaire. Parmi elles, Ressources Alternatives, située dans le 19e arrondissement de Paris qui propose des cycles sur une base bimensuelle, à prix libre. En novembre 2019 est organisé un arpentage sur le livre Happycratie - Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies coécrit par la sociologue Eva Illouz et le docteur en psychologie Edgar Cabanas, auquel je décide de me rendre.
La séance prend place dans les locaux de la Fabrik Coopérative, qui regroupe plusieurs associations d’éducation populaire et de quartier à quelques mètres de Place des Fêtes. Une dizaine de personnes arrivent petit à petit. L’ambiance est détendue, les gens font connaissance autour des boissons et tartes préparées par les bénévoles. Une fois tout le monde arrivé, Nicolas, membre de l’association et animateur de la soirée nous invite à commencer. Assis·es sur des chaises en cercle, chacun·e se présente. Les profils et les âges sont variés, pour beaucoup c’est une découverte. Ils et elles sont principalement arrivé·es là par curiosité sur le sujet du livre. Nicolas rappelle alors le principe. Il est question de débroussailler l’œuvre collectivement, dans un temps court, et si le besoin se fait sentir de partager des expériences personnelles pour enrichir la discussion. Après une brève introduction sur l’auteur et l’autrice, ce dernier brandit le livre et le déchire en autant de parts égales qu’il y a de participant·es. Rituel de désacralisation ou simple commodité pour répartir les pages, le geste surprend tout de même, et fait sourire.
Une quinzaine de pages sont distribuées par personne dans l’ordre du cercle et du livre, l’objectif étant de lire puis de présenter sa portion de texte au reste du groupe. Tout le monde s’éparpille dans la salle et s’attèle à la tâche. Certain·es prennent des notes, d’autres lisent et échangent. Au bout d’une heure, le cercle se reforme et la restitution commence. Avec cinq minutes ininterrompues de présentation par personne, les pages s’enchaînent et l’argumentaire du livre se déroule. Les gens résument, citent des morceaux marquants et font part de leur analyse. Nicolas, équipé d’une petite pancarte rappelle le temps restant à chacun·e, limitant le monopole de la parole sans interrompre. À la fin de chaque intervention, un temps est donné à la personne pour raconter une anecdote que lui évoque le passage du livre. Plusieurs cas résonnent fortement avec les analyses des chercheur·euses. L’exemple d’un proche en situation de précarité se réfugiant dans des livres de développement personnel rappelle bien la thèse défendue d’une injonction au bonheur individualisante qui détourne l’attention des causes structurelles de ses problèmes. Ou encore la manière dont la hiérarchie au sein d’une entreprise parvient à justifier des rythmes de travail exagérés en revendiquant l'existence d’une « passion » du travail. Pendant une heure, les témoignages s’enchaînent au rythme du livre.
A la fin du tour, Nicolas récupère les morceaux du livre et nous invite à exprimer nos ressentis sur la soirée. Ceux-ci sont globalement unanimes : si ces deux heures et demi d’exercice ne remplacent évidemment pas une lecture approfondie, elles s’avèrent malgré tout être une bonne introduction sur le sujet, qui donnent l’envie et des outils pour se replonger dans le livre par la suite. Les parallèles avec des situations vécues sont autant d’exemples qui aident à comprendre et s’approprier le contenu du livre, tout en visualisant l’étendue concrète de ses implications.
Les conférences gesticulées - Analyser son parcours, partager son expérience
Entretien avec Arthur, conférencier gesticulant.
Initiées par Franck Lepage au début des années 2000, les conférences gesticulées sont des spectacles politiques permettant à des personnes souhaitant raconter un parcours personnel marquant de venir le partager sur scène. Sur des formats allant d’1h30 à 4h, ces dernier·es racontent leur expérience de vie et leur rapport aux institutions entre anecdotes et analyses personnelles, alimentées par une trame de fond critique. Dans la première du genre intitulée « L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu ! Une autre histoire de la culture », Franck Lepage revient sur son parcours dans l’éducation populaire, de son travail à la FFMJC et des déclics l’ayant amené à questionner les dérives de l’action culturelle portée par l’État. De Marx à Bourdieu en passant par la culture du poireau, il raconte par analogies et apports théoriques l’histoire de l’éducation populaire, et lie son cheminement individuel aux intrications politiques et structurelles de l’évolution du secteur. Face au succès de la conférence, Franck Lepage développe avec la SCOP Le Pavé une série de nouvelles conférences gesticulées (les « Inculture(s) »), ainsi que des formations pour apprendre à construire la sienne. D’une infirmière venant parler de la destruction de l’hôpital public à la personne racisée venant parler des questions d’identité, ces nouveaux·elles conférencier·es se regroupent dans un réseau grandissant de « gesticulant·es » et interviennent dans des syndicats, des cafés, des centres sociaux…
En février 2020 a lieu au centre social Le Picoulet (dans le 11ème arrondissement de Paris) une conférence intitulée « Burnout.com : le management à contre sens ». Arthur Molveau, ingénieur logiciel, revient sur son expérience dans le monde du travail, et plus particulièrement sur son rapport aux techniques de gestion managériale qu’il a pu subir ou lui-même orchestrer jusqu’à son burn-out. En liant son parcours à des travaux de sociologues du travail comme Danièle Linhart ou Johann Chapoutot, il raconte son passage « d’une quête de reconnaissance à une quête de sens » et de la nécessité de ne pas passer à côté des causes de cette maladie. Je décide de contacter Arthur Molveau à la suite de la conférence ; il accepte de répondre à mes questions sur son expérience en tant que conférencier gesticulant.
Tu te définis comme ouvrier du logiciel dans la description de la conférence. On peut être ingénieur·e et ouvrier·e ?
Oui, complètement. Dans un processus hiérarchique « normal », l’ingénieur·e est souvent vu·e comme un·e encadrant·e qui gère des développeur·euses (comme des BTS, des étudiant·es, des jeunes diplômé·es etc). Mais concrètement la plupart des boulots qui sont demandés dans le logiciel sont des travaux de production, et peu dans la gestion de projet. La demande est tellement importante que beaucoup de gens ayant de nombreuses compétences se retrouvent uniquement à coder. Produire est également une tâche noble, mais on a aucune prise sur les processus de décision. On se retrouve avec des objectifs qui nous sont donnés, et quand on commence à les remettre en questions on nous fait très rapidement comprendre que ce n’est pas notre rôle. En parallèle de ça, on nous demande quand même d’être « pro-actif ». Si on arrive avec une bonne idée - sous-entendu une proposition rentable pour la boîte ou les clients - la hiérarchie écoute. Mais pour tout le reste, ce n’est pas la peine d’essayer. C’est ce dont je parle dans la conférence avec la référence à Johann Chapoutot. Il y a toute une novlangue pour nous dire « Vas-y, sois créatif·ve ! », qui veut concrètement dire « Démerde-toi, atteint juste les objectifs au meilleur coût et le plus vite possible ».
Dans la conférence, tu parles du management à contre-sens et des différentes étapes qui t’ont amené à faire un burn-out. Pourquoi as-tu décidé d’en parler au travers d’une conférence gesticulée ?
Je connaissais déjà le format depuis au moins six ou sept ans, et le principe me plaisait beaucoup. Dans des conversations du quotidien (comme un repas par exemple), tout le monde parle et écoute à moitié. Je n’avais pas vraiment le temps de développer mon propos sur les parties les plus importantes. Je sentais que j’avais des choses intéressantes à dire et j’avais une certaine aisance à l’oral, mais j’avais également une frustration de n’être pas vraiment écouté. Du coup, quand on me donne des espaces comme tu as pu le voir à Paris, cela permet de prendre le temps.
Faire une conférence gesticulée prenait aussi le contrepied de mon métier, dans lequel je n’avais pas vraiment l’opportunité de construire des choses pour durer. Par exemple, quand on se forme sur un outil dans le monde du logiciel, il ne va durer que trois, cinq ou sept ans. C’était insupportable au bout d’un moment de me dire que je devais réapprendre continuellement des choses éphémères. Ce qui me plaisait avec l’éducation populaire, c’est qu’on fait collectivement avancer les idées, et qu’il n’y a pas de recul. Quand une personne comprend les enjeux politiques, sociaux et culturels du monde dans lequel elle vit, il n’y a pas de retour en arrière. On ne fait qu’avancer, et je trouve ça génial.
À quel moment as-tu décidé de te lancer ?
Lorsque j’ai contracté ma maladie, j’ai passé une convalescence assez solitaire malgré les proches qui m’entouraient. Je me suis rendu compte qu’il fallait communiquer pour trouver des solutions collectivement. Il me fallait comprendre ce que j’avais vécu et les raisons m’ayant amené à cette maladie. J’en suis donc arrivé à me dire que le format de la conférence gesticulée était intéressant, et notamment pour la phase de formation. Il y a de nombreux moments où on prend la parole dans le groupe avec les autres gesticulant·es (que ce soit dans un exercice ou non), et chacun·e donne son avis sur ce qu’il·elle vient d’entendre. Je trouvais ça formidable de pouvoir raconter ce que j’avais vécu avec des gens qui en font l’analyse. Pour moi, c’était autant un moyen de faire une thérapie que de construire un objet ensuite. C’est d’ailleurs la raison première pour laquelle je voulais faire cette conférence : retracer le récit de ce que j’avais vécu pour pouvoir avancer. Bon, après, si tu en parles aux gens de l’Ardeur ils vont rigoler en disant qu’ils et elles ne sont pas des thérapeutes. Mais il n’empêche qu’il y a quand même une sorte de thérapie de groupe.
Que se passe-t-il pendant cette formation de conférencier·e ?
Il y a des temps d’échanges avec les formateurs et les autres conférenciers mais aussi des temps d’écriture seul. Dans les moments de discussion, il y a des outils utilisés comme par exemple « Petite histoire, grande histoire ». L’idée c’est de faire une grande frise chronologique, dans laquelle on met des évènements de la grande histoire qui nous ont marqués. On les met ensuite en lien avec des éléments de nos petites histoires personnelles ou familiales. C’est intéressant de comprendre comment la grande histoire nous modèle, mais aussi de voir les spécificités des vécus personnels.
Il y a aussi l’outil de l’entretien libre. On se met deux par deux autour de la question « Et toi, c’est quoi ta conf ? » Pendant une heure on doit laisser parler son partenaire librement. Au bout de 50 minutes, tu lui demandes s’il veut ajouter encore quelque chose. C’est un outil vraiment intéressant parce que ça permet de partir dans tous les sens, et il faut quand même en tirer des éléments clés à la fin. L’interlocuteur n’intervient pas, sauf pour te rappeler où tu en étais. C’est une prise de parole libre qui permet ensuite de structurer le discours.
Dans ta conférence, tu mets ton vécu en lien avec des travaux de sociologues et d'historien·nes comme Danièle Linhart ou Johann Chapoutot. Ce sont des références que tu connaissais déjà avant la formation ?
Je lisais un peu de sociologie mais c’est vraiment pendant la formation qu’on m’a conseillé de lire les travaux de Linhart, Didry, Dejours etc. Il y a des moments de débat collectif sur ce que chacun·e en a tiré, mais aussi des moments seul·es. Je passais pas mal de temps à lire un article, un bouquin ou à regarder une interview ou une conférence. Puis d’un coup je lisais un paragraphe et un déclic s'opérait. J’avais l’impression qu’on mettait des mots sur un truc que je vivais depuis des années. Paradoxalement, ça ne me demandait pas de gros efforts pour me plonger dedans, il y a des soirées où je dévorais ça. Je me souviens à un moment m’être retrouvé à Limoges en mission assez loin de chez moi et je bossais dessus le soir. Cela me portait et les liens se faisaient assez naturellement.
Le processus de construction de la conférence prend-il beaucoup de temps ?
La formation s’est étalée sur environ cinq mois, sous la forme de quatre stages de trois jours. À chaque fois ce sont des périodes très intenses, on bosse de 9h à 22h. Mais je passais aussi du temps à la travailler de mon côté. C’était d’autant plus un gros boulot que j’étais dans le déni de ce que j’avais vécu. Sur la question des rapports de domination, il a fallu qu’une amie féministe me dise « Bienvenue chez les dominé·es » pour enfin mettre des mots dessus. J’avais besoin de prendre le temps de comprendre et d’y revenir pour que cela mûrisse.
Au-delà de ça, la conférence n’est pas fixe. Je retourne d’ailleurs en formation bientôt. L’objectif est de perfectionner, mais aussi de créer un atelier qui l’accompagnerait. Il aurait comme principe général de trouver des idées collectivement pour lutter contre la souffrance au travail. Par exemple, on retrouve souvent dans les ateliers des gesticulant·es une étape sur la désintoxication de la langue de bois. On pourrait identifier des mots issus des langages managériaux et les décrypter pour mieux en comprendre les implications.
Comment cette conférence vit-elle aujourd’hui ?
Ces derniers temps j’ai pu en faire pas mal, notamment à Perpignan, Paris, Lille etc. Je joue dans des centres sociaux, des cafés théâtres mais aussi pour des syndicats. Je viens de faire une date en Belgique pour la FGTB (Fédération Générale du Travail de Belgique) et il y a quelque chose de planifié avec le Conseil National de l’UGICT (CGT des ingénieur·euses, cadres, et technicien·nes) qui pourrait amener à intervenir dans des comités locaux. Cela demande quand même un boulot énorme qui rembourse tout juste les frais puisque le tarif moyen est de l’ordre de 3,50€ par spectateur·rice présent·e.
Mais sinon il n’y a jamais une conférence qui se ressemble. Parfois je me permets des parenthèses, des libertés et je rajoute d’autres choses. Le discours bouge beaucoup selon l’envie, le ressenti du public et l’humeur. Pour celle que tu as vu, j’étais assez stressé, donc je suis resté assez proche de ma ligne. Mais celle que j’ai faite deux jours plus tard n’avait rien à voir. Je me suis plus étalé et cela a duré 2h15 au lieu d’1h45.
Il y a aussi des fois où ça part en débat avant la fin de la conférence, mais j’essaye d’éviter ça pour l’instant. Le format d’une conférence gesticulée est d’ailleurs assez paradoxal. On dit qu’il faut que ça reste très ouvert, mais il est clair qu'on suit quand même une ligne directrice. Faire des interactions avec la salle, c’est très bien mais il faut l'avoir préparé. Quel que soit ce que va dire le public, il faut réussir à le raccrocher à ce que tu vas raconter par la suite, ce qui implique de bien anticiper. Aujourd’hui je donne ponctuellement la parole mais que sur des éléments pensés en amont. J’aimerais bien le développer par la suite, cela donne quelque chose de plus vivant, avec des bouffées d’air frais pour le public.
Le théâtre de l’opprimé·e
Les grands chantiers nationaux de la compagnie N.A.J.E
Le Théâtre de l’Opprimé·e est une pratique théâtrale qui regroupe une série de méthodes d’expressions orales et corporelles, entre analyses politiques et techniques introspectives développées par le metteur en scène, dramaturge et comédien brésilien Augusto Boal. Elles sont aujourd’hui utilisées à travers le monde, tant comme outil d’appropriation de la parole et d’analyse des situations d’oppressions que comme méthode d’animation des conflits par la représentation et la mise débat des dissensus. « Théâtre-invisible », « théâtre-forum », « l’image analytique » ou encore « l’arc-en-ciel du désir » sont autant de ressources qui se destinent à des non-comédien·nes, et sortent de la scène pour s’intégrer dans des réunions syndicales, conseils municipaux, comités de quartiers, locaux associatifs et même dans la rue.
C’est dans le Brésil des années 1960 qu’apparaissent les prémices du théâtre de l’Opprimé dans les travaux d’Augusto Boal et de sa troupe. À la suite d’un doctorat en chimie, celui-ci décide en 1956 de se lancer dans la scène et intègre le Teatro de Arena, créé trois ans plus tôt à Sao Paulo. Ce dernier « participe alors d’un mouvement de renouvellement de la forme dramatique au Brésil, dominée par les institutions théâtrales bourgeoises et notamment le Teatro Brasileiro de Comédia (TBC), dont le répertoire est presque intégralement composé d’œuvres européennes et nord-américaines ». Revendiquant un théâtre populaire et politique, la troupe met en scène des pièces basées sur des questions de luttes collectives et de rapports de classes. Constatant rapidement l’entre-soi que la barrière du lieu ne permet pas de surmonter, les comédien·nes décident de rejoindre les campagnes du Nordeste pour amener leurs pièces aux publics populaires auxquelles celles-ci prétendent se destiner. Dans les idées marxistes d’une révolution prolétarienne, la troupe s’inscrit alors dans le mouvement naissant du théâtre d’agit-prop brésilien, développant des représentations dans lesquelles ils caricaturent les rapports de classe et exhortent paysan·nes et ouvrier·es à la révolte armée contre les possédant·es.
Face aux réactions des audiences qui oscillent entre méfiance et exaltation, Augusto Boal se rend alors compte du décalage énorme entre la position des acteur·rices et celle des publics. Les comédien·nes appellent le peuple à la révolution depuis une position lointaine et privilégiée, sans être aucunement prêt à y participer. Dans son autobiographie, il revient ainsi sur la rencontre de la troupe avec un paysan du nom de Virgilio, qui suite à une de leurs représentations, les enjoint à prêter main-forte à ses compagnon·nes pour déloger le propriétaire terrien qui s’accaparait leur sol. Devant leur hésitation, Virgilio comme les comédien·nes se rendent alors compte de l'hypocrisie de la situation. Ces dernier·es portent un message radical sur scène qu’ils ne peuvent assumer lorsque la situation devient concrète, laissant aux paysan·nes le soin de verser leur sang. Augusto Boal décrit alors ce moment comme une prise de conscience l’ayant amené à un changement profond de son approche du théâtre.
Accompagné par une partie de la troupe, il quitte le paternalisme propagandiste et « messianique » de l’agit-prop pour développer un théâtre au service du public comme outil d’expression et d’analyse collective. Il ancre alors ses méthodes dans les réalités quotidiennes des publics comme moyens de représenter, comprendre et proposer collectivement des solutions pour lutter contre les situations d’oppressions. En développant le principe du « spect’acteur » comme figure centrale du théâtre de l’Opprimé, Augusto Boal intègre désormais le public comme partie-prenant de la représentation. Celui-ci est amené à s’approprier l’expression orale et corporelle pour devenir à la fois sujet, interprète et force de proposition vis à vis de la situation mise en scène. Le rôle du·de la comédien·ne professionnel·le devient celui d’un·e accompagnateur·rice qui aide à animer l’appropriation de la parole par ces « non-acteurs ».
Contraint à l’exil en 1971 face à la répression du régime dictatorial, Boal arpente le monde où il exporte et enrichit sa pratique en incorporant notamment une série de méthodes introspectives. Après plusieurs passages en France, un Théâtre de l’Opprimé est créé à Paris, et plusieurs troupes ayant suivi les enseignements du dramaturge brésilien voient le jour. Parmi celles-ci, la compagnie NAJE, qui se définit comme « compagnie théâtrale professionnelle pour la transformation sociale et politique » pratique depuis 1997 les méthodes conscientisantes et introspectives du théâtre de l’Opprimé de Boal. En intervenant dans des lieux aussi divers que des missions locales, des écoles, des syndicats ou encore des copropriétés ou des prisons, la troupe anime des ateliers sur des questions sociales et politiques ancrées dans les problématiques des publics participants. La variété des thématiques abordées qui traitent de rapports individuels et collectifs aux institutions, au travail, à la vie domestique ou aux manifestations quotidiennes de situations d’oppression, aboutissent à la construction de spectacles, ou à des actions et des prises de décision.
Au delà de ces interventions, la compagnie construit chaque année un « grand chantier national » qui propose de travailler sur des thèmes vastes et variés allant de la précarité au racisme structurel en passant par la patrie, les luttes sociales, le travail ou encore les sans-papiers ou la famille. Dans le cadre du chantier de l’année 2017-2018 sur le sujet des classes sociales, René Baratta (vidéaste spécialisé dans la réalisation de films dans le domaine du travail et de l’insertion sociale) a suivi pendant neuf mois le processus de construction de la pièce de théâtre. En octobre 2019, lorsque je commence le travail de recherche pour le mémoire, le film « Histoires d'un chantier national » qui résulte de ce travail est projeté à la librairie Publico, rue Amelot dans le 11e arrondissement de Paris. Je décide de m’y rendre.
En compagnie de Fabienne Brugel (cofondatrice de la compagnie et membre de la SCOP l'Ardeur) et René Baratta, quelques participant·es aux chantiers et curieux·ses sont venu·es assister à la projection. Fabienne Brugel revient alors sur l’histoire du théâtre de l’Opprimé, des premières expériences de théâtre-journal à l’exil de Boal, et la diffusion de ses pratiques théâtrales à travers le monde. Elle nous explique ensuite le principe de ces chantiers nationaux : un groupe ouvert à toutes et tous va travailler pendant plusieurs mois sur la construction d’un spectacle de théâtre forum. En alternant des temps d’apports théoriques, d’échange et de mise en scène de situations vécues mais également d’exercices d’expression orale, corporelle et musicale, le chantier aboutit à une représentation construite sur les histoires personnelles de chacun·e.
Au-delà de la représentation finale, le documentaire met alors en scène tout le processus de construction du chantier, où cinquante participant·es ont travaillé pendant des weekends pendant six mois pour s’approprier et exprimer cette notion poreuse et protéiforme qu’est la classe sociale. Comme tous les chantiers nationaux organisés par la troupe, celui-ci commence par des temps de formation, où des intervenant·es extérieur·es viennent apporter des outils d’analyse, pour mieux appréhender la notion étudiée. Il y a par exemple une intervention d’Anthony Pouliquen, conférencier gesticulant qui vient jouer sa conférence sur l’histoire des classes sociales et les nouveaux contours du prolétariat. Ou encore les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, spécialistes de la grande bourgeoisie qui interviennent sur le fossé qui sépare les élites économiques des classes populaires et de la petite bourgeoisie. Ces dernier·es introduisent également des notions théoriques comme celles de capital économique, social et culturel, et livrent des anecdotes issues de leur parcours de recherche dans les milieux de la grande bourgeoisie. Ces exemples donnent une première appréciation des contours que peuvent revêtir les rapports d’oppression classiste et permettent à chacun·e d’entamer un premier travail de corrélation avec des anecdotes tirées de son parcours personnel.
Suite à ces temps d’analyse théorique, les membres de la compagnie proposent des ateliers sur des sujets vastes, allant de l'ascension ou le déclassement social dans les sphères familiales à l’expérience des classes sociales à nuit debout, en passant par les « étiquettes de classe » qui collent à la peau ou encore aux « trahisons de classe ». Les participant·es sont alors invité·es à rejoindre ces ateliers en petits groupes, qui permettent d’engager la discussion et d’échanger sur des moments personnels de vie, que ce soit dans une relation d’opprimé·e ou d’oppresseur·euse. Des anecdotes marquantes commencent alors à ressortir, comme une représentante syndicale qui revient sur la rencontre de leur délégation avec le cabinet ministériel d’Emmanuel Macron. Elle raconte l’autoritarisme dont il fait preuve pour se dédouaner d’une situation où un chauffeur du ministère, surchargé de travail, a été condamné pour excès de vitesse. Un participant raconte également les propos classistes qu’il a pu tenir face aux blagues racistes qu’il subissait en colonie de vacances par des enfants blancs issus de milieux populaires. Ou encore une dame qui retrace la violence symbolique d’une bénévole dans une épicerie sociale, qui surveille ses courses et lui suggère de prendre du curcuma pour changer de son ketchup.
Ces éléments sont ensuite mis en scène dans de courtes saynètes, qui permettent de faire ressortir un certain nombre de principes pour la représentation finale, comme un manque de solidarité de classe, la divergence des intérêts des élites politiques ou encore la difficulté d’analyser les situations de son quotidien pour s’organiser dans les luttes sociales. Ces temps de récits personnels et d’analyses collectives permettent également de prendre conscience de la ramification et de l’intrication profonde et complexe de ces rapports dans les quotidiens de chacun·e, qui se matérialisent de façon plus ou moins subtile et plus ou moins violente. Cela tend d’ailleurs à faire émerger des doutes et des réactions parfois hostiles au sein des groupes, face à cette lecture du monde qui catégorise et assigne des étiquettes dans lesquels certains ne se retrouvent pas. Si la relation de domination qu’entretiennent les élites économiques avec le reste de la population est également pointée comme centrale, les oppressions classistes du quotidien ne sont pas les mêmes pour les classes populaires et moyennes supérieures, ce qui amène aussi à des altercations entre participant·es. Néanmoins, ces temps d'introspection, de représentation et d’analyse collective permettent à chacun·e de petit à petit s’approprier le sujet plus en profondeur et de comprendre les implications systémiques des rapports autant que de leur position dans ces structures sociales.
De toutes ces expériences vécues sont ensuite tirées des grandes parties, condensées dans un scénario construit par les membres de la compagnie dans un temps d’écriture, et proposé aux participant·es par la suite. Celui-ci met en scène les situations les plus représentatives des sujets ayant émergé pendant les temps d’analyses collectives. Le temps de préparation de la représentation commence alors, et s’accompagne d’un temps de construction d’une performance musicale qui sera jouée en direct du spectacle par les participant·es. Au travers d’ateliers collectifs, ces dernier·es apprennent à coordonner les rythmes pour créer une narration sonore qui alimente les histoires représentées sur scène. La musicienne intervenant dans la compagnie propose d’explorer l’utilisation de matériaux simples comme du bois ou du polystyrène pour créer un panel de sons grinçants, suaves ou percutants qui accompagnent les récits. L’organisation scénique du spectacle est également travaillée, avec la matérialisation spatiale des inégalités de classe, qui utilise la répartition de la scène pour confronter la disparité des modes de vie. Les classes dominantes, au fond de l’estrade, reviennent de manière récurrente contraster avec les situations quotidiennes représentées dans les saynètes. Au bout de six mois de préparation, le spectacle est finalement joué à la Cartoucherie de Vincennes.
Construire une autonomie politique
À l’image de Célestin Freinet qui articule étroitement l’apprentissage critique de ses élèves avec la construction d’une capacité à s’autogérer au sein de coopératives scolaires, on retrouve dans l’éducation populaire un travail central d’accompagnement à la mise en place d’une autonomie politique. Les coopératives d’éducation populaire proposent ainsi de nombreuses formations et interventions sur la construction de débats, de délibérations et de prises de décisions qui s’appuient sur un certain nombre d’outils d’écoute, de dialogue et d’analyse. À l’inverse d'une éducation vague à la citoyenneté, on retrouve une vision de la démocratie qui s’inscrit dans une conception directe, influencée par sa définition étymologique qui prône une gestion des affaires collectives par et pour les personnes concernées par la décision. L’objectif est ainsi de venir déconstruire les rapports de domination liés à une gestion hiérarchique du pouvoir, en créant des espaces d’échange et de participation comme autant de prérequis à la mise en place d’une égalité politique. Cette vision de la démocratie se distingue alors d’une pratique représentative de l’exercice politique telle que promue dans nos démocraties occidentales, ainsi que des initiatives plus récentes de démocraties participatives institutionnalisées qui se développent depuis le début des années 2000.
La démocratie représentative
Il s'agit donc de comprendre et requestionner la conception dominante de la « démocratie libérale », conception basée sur un système de délégation du pouvoir qui tire sa légitimité de moments de participation politique à travers la tenue d’élections au suffrage dit « universel ». En effet, si l’association entre régime représentatif et régime démocratique est aujourd’hui profondément ancrée dans l’imaginaire collectif, il semble important de réintroduire, notamment par le biais d’analyses historiques et conceptuelles, une distinction entre ces deux conceptions de l’organisation politique. L’étymologie du mot est d’ailleurs assez révélatrice de ce décalage, construite sur la contraction grecque du dêmos (le peuple) et du kratos (le pouvoir), qui signifie donc littéralement une gestion directe du pouvoir par le peuple pensé comme souverain. Dans un livre intitulé Principes du gouvernement représentatif, le philosophe et politologue Bernard Manin revient sur les origines et les caractéristiques de ce régime politique. Il y décrit celui-ci comme un système composite, caractérisé par un mélange étroit de principes à la fois démocratiques et oligarchiques (entendu comme la gestion du pouvoir par une minorité dirigeante). Ainsi, des éléments comme la mise en débat des décisions publiques ou encore la possibilité qu’ont les gouverné·es d’exprimer publiquement des opinions contraires à ceux des gouvernant·es se rattachent à une catégorisation démocratique. En revanche, l’indépendance décisionnelle de représentant·es irrévocables, bien que sanctionnable par les publics représentés de manière rétrospective par une non-reconduction du vote, constitue quant à elle un élément oligarchique.
Le système représentatif était d’ailleurs ouvertement revendiqué comme une oligarchie aristocratique lors des révolutions de la fin du XVIIIe siècle, par la mise en avant d’une élite non plus héritière mais rationnelle et éclairée comme condition nécessaire à une gouvernance en faveur du bien commun. « La rédaction de la constitution des États-Unis est l’exemple classique de ce travail de composition des forces et d’équilibre des mécanismes institutionnels destiné à tirer du fait démocratique le meilleur qu’on en pouvait tirer, tout en le contenant strictement pour préserver deux biens considérés comme synonymes : le gouvernement des meilleurs et la défense de l’ordre propriétaire », déclare ainsi le philosophe Jacques Rancière. En désignant les personnes disposant d’un fort capital économique et d’une éducation légitime comme étant les seules en capacité de gouverner, la classe bourgeoise s’auto-légitime et assure grâce à l’élection, le transfert d’un régime monarchiste vers un système représentatif qui assoit sa place dans les instances décisionnelles. De nombreux·ses penseur·euses libéraux·ales des Lumières défendent ainsi la nécessité de guider le peuple, tant pour l’intérêt supposé des gouverné·es que pour se prémunir du pouvoir de la masse, qui pourrait remettre en cause l’ordre social. Rousseau portait déjà un regard critique dans Du Contrat Social sur le fonctionnement du système représentatif, incarné en 1762 par le régime électoral anglais : « Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort : il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ». Au philosophe Cornelius Castoriadis de venir compléter cette assertion deux siècles plus tard : « Et même cela n’est pas vrai : l’élection est pipée, non pas qu’on bourre les urnes, elle est pipée parce que les options sont définies d’avance. Personne n’a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit : “ votez pour ou contre Maastricht “, par exemple. Mais qui a fait Maastricht ? Ce n’est pas nous. »
De plus, si le système représentatif se caractérisait par un fonctionnement parlementariste lors des révolutions libérales, Manin considère que celui-ci a depuis été substitué par ce qu’il appelle une « démocratie du public ». Apparue notamment avec l’avènement des médias de masse dans les années 1970, les personnalités politiques ne nécessitent dès lors plus des supports médiatiques traditionnels de leurs partis pour diffuser leur parole, ce qui conduit à la mise en avant de grandes figures médiatisées dans une politique communicationnelle qui se fait au détriment de la promotion d’idées partisanes. « À présent, la stratégie électorale des candidats et des partis repose sur la construction d’images assez vagues, dans lesquelles la personnalité des leaders occupe un place prééminente, plutôt que sur la promesse de politiques déterminées. » Grâce à l’analyse des tendances par les sondages, à la prédiction des votes par le profilage des électeur·rices et à l'évaluation des enjeux communicationnels des clivages, les professionnel·les de la politique considèrent leur électorat comme un public à cibler, et adaptent leurs discours en conséquence. Cette évolution amène alors à un nouveau genre de personnel politique, « principalement constitué ou environné d’individus appartenant à des cercles particuliers, distinct du reste de la population par leur profession, leur culture et leur mode de vie. La scène publique est dominée par un ensemble de journalistes, d’experts en communication et de spécialistes de sondages dans lequel on a peine à voir un reflet représentatif de la société. »
Si les références à la notion de souveraineté populaire dans les systèmes représentatifs présentent aussi la place du peuple comme centrale par le rôle de l’élection, la conception variable et évolutive de sa composition tend à s’exprimer de façon excluante et homogénéisante à travers les époques. Comme le rappelle Samuel Hayat dans son livre Démocratie, les constitutions de 1793, 1795 et 1848 proclament l’existence d’un corps citoyen souverain, une conception universaliste et unifiée du peuple comme condition de la légitimité des lois promulguées qui opère de fait une triple réduction. L’autorité de la majorité tend à effacer la pluralité des opinions, pluralité qui se fait au détriment des groupes minoritaires dans une égalité proclamée qui oublie la complexité des rapports de pouvoir entre les groupes sociaux, et ne prend pas en compte l’ensemble des personnes concernées par la décision (le suffrage était censitaire puis blanc et masculin avant d’être universel, et exclut toujours les personnes de nationalités étrangères vivant sur le territoire). Les fortes inégalités sociales entre les membres constitutifs du peuple tendent aussi à se reproduire en raison de l’inégal accès au pouvoir. Les groupes minorisés sont ainsi peu représentés dans les espaces de gouvernance, et les personnes disposant d’un fort capital économique sont plus susceptibles de faire peser leurs opinions dans la balance. On peut par exemple rappeler l’hyper-concentration des médias de masse dans les mains de quelques grandes fortunes, qui disposent ainsi d’un pouvoir conséquent dans le traitement de l’information publique.
Ainsi, bien que décrétant l’égalité politique de tous les citoyen·nes par le suffrage universel, le système représentatif ne permet en réalité pas une égalité de fait entre les groupes sociaux dans la gestion du pouvoir central. Face à ce rôle passif du corps électoral qui se voit privé de sa capacité à s’impliquer dans les affaires collectives, on retrouve dans les mouvements d’éducation populaire une volonté de promouvoir une pratique beaucoup plus participative de la démocratie. Cependant, cette notion de participation étant aujourd’hui tout aussi galvaudée que celle d’éducation populaire, il est nécessaire d’opérer une distinction parmi la pluralité des initiatives qui s’en revendiquent.
La démocratie participative
En effet, si la question de la participation est récurrente et inhérente au processus démocratique, on assiste depuis la fin du siècle dernier à une apparition massive du concept de démocratie participative dans le débat public. Issue d’une volonté de revitaliser les instances toujours plus critiquées du système représentatif, elle évolue aujourd’hui dans une multitude d’incarnations disparates, entre initiatives indépendantes et appropriations institutionnelles. Apparue dans les années 1960 à travers le monde comme la revendication d’une participation pleine et entière des personnes concernées dans les processus de décision, elle fait rapidement l’objet d’une incorporation par les systèmes étatiques représentatifs au travers d’une variété de lois et dispositifs de concertation. Si ceux-ci amènent parfois à une réelle collaboration entre représentant·es et représenté·es, elle demeure pour beaucoup le marqueur d’une politique communicationnelle, qui exclut dans les faits la parole des citoyen·nes sur les questions de fond. En France, son appropriation par les discours politiciens dans les débuts des années 2000 voit rapidement apparaître une défiance des participant·es face aux constats récurrents de l’absence de la décentralisation des pouvoirs annoncée.
Dans Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, le politologue Loïc Blondiaux revient sur la résurgence de ces formes de participations citoyennes, tant dans les initiatives indépendantes et spontanées que dans leurs confrontations aux politiques d’Etat. Ancrées dans les mouvements de contestation radicaux américains des années 1960, les premières trouvent leurs origines théoriques dans deux filiations philosophiques distinctes. L’une, inscrite dans la continuité des visions républicaines de Rousseau ou Mill considère « l’engagement de chacun dans les affaires de la cité comme une condition de la liberté et de l’épanouissement individuel. » À l’image des démocraties athéniennes, la participation des citoyen·nes au-delà de la prise de décision est considérée comme une condition essentielle au processus démocratique. L’autre filiation, ancrée dans la notion de délibération trouve quant à elle ses racines dans les travaux de John Rawls et Jürgen Habermas dans les 1980-1990. Au-delà des questions relatives à la participation ou au vote, ceux·celles-ci pointent l’importance des discussions, débats, confrontations et délibérations qui précèdent la prise de décision. Si ces deux conceptions peuvent servir de référents théoriques, elles évoluent, se mélangent, se transforment et s’incarnent dans un panel large de structures et d’idées plus ou moins radicales, regroupées sous l’appellation générique de l’ « idéal participatif ».
Parmi ce regroupement idéologique disparate, on peut néanmoins observer une distinction principale entre les pratiques participatives relevant d’une participation « sauvage » et celles relevant d’une participation « d’élevage ». Ces qualificatifs volontairement forts et « provocateurs » sont utilisés par Laurent Mermet dans la continuité des idées de Claude Lefort pour attirer l’attention sur la rupture entre des formes d’expressions spontanées et celles inscrites dans des dispositifs concertatifs domestiqués. Les premières, apparaissant sous des formes variées de protestations, prise de paroles et satyres se constituent dans une position critique et indépendante. Qu’elles s’incarnent au travers d’articles, de manifestations dans l’espace public ou d’organisations citoyennes, elles portent un regard dissident sur une ou des situations inégalitaires, et s’affranchissent de certains cadres physiques et moraux imposés par les institutions dominantes. Les secondes, institutionnalisées et souvent issues des classes politiques professionnelles, s’exercent dans des cadres hiérarchiques descendants qui limitent les écarts possibles aux termes du débat institué. Loin de permettre l’expression des antagonismes, elles servent alors le double objectif de désamorcer les conflits et d’invisibiliser les dissensus au profit d’un renforcement des positions défendues par les encadrant·es du débat.
Cette dernière catégorie se matérialise ainsi en France par l’apparition dans les années 1990 d’une série de lois participatives, touchant essentiellement aux domaines de l’environnement et de l’urbanisme. Elles entérinent un certain nombre de principes autour du droit de regards des citoyen·nes, de l’accès aux informations détenues par les autorités publiques et de la création de débats lors de l’aménagement de grosses infrastructures. On peut par exemple citer la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) qui rend obligatoire la concertation dans le cadre de transformations urbaines locales et la charte de l’environnement qui permet la participation des citoyen·nes à « l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Ou encore la loi sur la démocratie de proximité de 2002 qui rend obligatoire la création de conseils de quartiers dans les villes de plus de 80 000 habitants.
Présentés comme outils de co-construction par le droit de regard et la force de proposition citoyenne, ces lois s’appuient en réalité sur des concepts flous, dont les cadres des concertations sont peu définis et ne savent garantir une réelle prise en compte des avis des participants. Elles amènent alors à ce que Loïc Blondiaux appelle un « impératif participatif », qui rend obligatoire l’instauration d’espaces de dialogue dont rien n’oblige les commanditaires à tenir compte. Selon lui, « elles relèvent toutes d’exercices participatifs organisés, orchestrés et limités par leurs concepteurs eux-mêmes. » Si ces dispositifs doivent être mis en place dans les cadres des politiques publiques d'aménagement du territoire, les élu·es (pour beaucoup) n’envisagent pas réellement le partage du pouvoir décisionnel, se considérant eux-mêmes légitimes à gouverner de par leur élection au suffrage universel. Les questions traitées sont alors souvent secondaires et la parole des participant·es influence rarement les prises de décisions finales. La non-considération de ces avis pluriels et divergents génère alors des frustrations et abandons des dispositifs par les personnes supposées en bénéficier. La démocratie participative se caractérise donc aujourd’hui par « une forme de marché de dupes très institutionnalisé, qui se rapproche beaucoup de la communication et s’éloigne de ce que pourrait être une forme de partage du pouvoir ».
Dans un livret intitulé Les cahiers du Pavé n°2 - La participation, la SCOP Le pavé revient sur cette notion de participation autant centrale dans l’exercice démocratique que dévoyée dans sa pratique institutionnelle. Incarnée pendant la Révolution Française comme une forte expression des antagonismes dans une lutte contestataire de la monopolisation du pouvoir, elle est aujourd’hui matérialisée par un contrôle institutionnel des élu·es dans des espaces de concertations publiques. Son utilisation récente peut être alors vue comme un outil de maintien des structures de domination politique traditionnelles, qui à l’image du capitalisme, vient intégrer la critique de la représentation pour instaurer un nouveau format de pacification et de dépolitisation. Cependant, si ce simulacre d’ouverture des politiques publiques est ici pointé du doigt, le philosophe Luc Carton (dont une interview est retranscrite dans le livret) rappelle que le rapport que nous entretenons avec la notion de participation se construit de manière plus large dans nos lieux de socialisation. Des environnement comme l’école, le travail ou l’espace public viennent ainsi forger ce rapport, qui s’exprime de façon passive ou répressive dans l’apprentissage scolaire, l’injonction à l’insertion professionnelle, ou encore se retrouve « progressivement réduite par le zonage des activités et tendanciellement, par la ségrégation entre les groupes sociaux. » La société de consommation serait elle-même marquée par une vision marchande de la participation, utilisée comme outil d’accroissement de la dépendance des consommateur·rices aux produits commercialisés.
Face à ce dévoiement de l’idéal participatif, les membres de la coopérative rappellent alors la nécessité d’une réappropriation, dans une perspective d’émancipation. Ces derniers déclarent ainsi : « Nous croyons à la participation, mais dès lors qu’elle comporte des enjeux réels, qu’elle travaille les contradictions, qu’elle laisse la place au conflit, qu’elle s’appuie sur des méthodes adaptées, qu’elle tente de contrer les dominations… Bref, qu’elle soit un instrument d’éducation populaire et non un simulacre de démocratie. » Le livret propose alors une série d’exemples, d’expériences et de méthodes, allant d’une colonie de vacances autogérée à des « antidotes à la participation », qui promeuvent une vision directe de la démocratie.
La démocratie directe
Le principe de démocratie directe se construit sur l'étymologie originelle du mot démocratie dont le dêmos du kratos - le pouvoir du peuple - implique une gestion entière des affaires d’une communauté par le corps civil le composant. A l’inverse de la délégation des fonctions décisionnelles telle que promue dans les systèmes représentatifs, celle-ci s’appuie sur une mise en débat régulière et permanente des affaires de la collectivité par l’ensemble des personnes concernées. Si ce principe fondamental est souvent jugé vague ou même naïf, il est à considérer comme un objectif vers lequel tendre qui s’appuie lui-même sur un certain nombre de pratiques participatives et délibératives pour construire les décisions. Parmi les défenseur·euse de la démocratie directe, on retrouve dans les travaux de Cornelius Castoriadis (1922-1997) une approche pluridisciplinaire qui en défend une conception autonomisante dans laquelle s’exerce un travail politique qui devient l’affaire de toutes et tous. Souvent cité aux côtés de Jacques Rancière ou Paul Ricoeur dans les mouvements d’éducation populaire, son approche permet d’éclairer les pratiques expérimentées par ces dernier·es dans leur volonté de construire une émancipation politique par le développement d’outils et de dispositifs à visée autogestionnaire.
Dans une critique soutenue à la fois des « oligarchies libérales » occidentales et du « capitalisme bureaucratique » incarné par l’URSS stalinienne, Cornelius Castoriadis prône depuis le début de la guerre froide un nécessaire passage d’une société hétéronome vers une société qu’il qualifie d’autonome. Là où l’opposition entre les modèles russes et occidentaux représente depuis la fin du XXème siècle les deux courants majoritaires, antagonistes et normatifs de société, Cornelius Castoriadis les considère comme découlant d’un principe similaire de confiscation des décisions par des classes dirigeantes protéiformes. Ces modèles hétéronomes où le peuple exécute des lois décidées en amont se distinguent alors d’une société construite sur une autonomie politique dont l’élaboration et l’exécution de règles sont définis directement par les collectifs constituants. Spécialiste des démocraties athéniennes, il revient sur un certain nombres de pratiques qui s’inscrivent dans les fondements d’une conception directe de la politique. Loin de considérer les modèles grecs comme exemples figés et entiers (ceux-ci s'appuyaient sur un certain nombre de lois et pratiques profondément réactionnaires), il en relève des ébauches d'expériences collectives du pouvoir proche de l’idéal autonome.
Parmi celles-ci, la figure du·de la citoyen·e comme acteur·rice du processus de décision occupe une place centrale, qui s’inscrit dans un paradigme politique où la participation pleine et entière du peuple est une condition nécessaire à l’exercice démocratique. Cette conception citoyenniste qui efface les figures du·de la politicien·ne professionnel·le et de l’expert·e telles qu’exercées dans les systèmes représentatifs, opère une distinction entre les tâches administratives, consultatives et décisionnelles. Si l’expertise technique est prise en compte comme avis consultatif, la figure savante et éclairée de l’expert·e comme justificatif à une confiscation du pouvoir quant aux décisions collectives est remise en cause. Loin de refuser le savoir porté par un·e professionnel·le sur un sujet donné, une société autonome sépare les décisions techniques de celles relevant de la sphère publique. Dans l’exemple souvent cité de l’installation d’une centrale nucléaire, un·e ingénieur·e pourra ainsi donner son avis sur le fonctionnement pratique et le cadre nécessaire à l’implantation de l’outil. Cependant, les questions relatives à l’utilisation du nucléaire plutôt que des énergies renouvelables, ou encore l’organisation du travail et des capitaux au sein de l'espace de production relèvent quant à elles du domaine politique et doivent faire l’objet d’une concertation citoyenne. Dans une logique similaire, les tâches administratives nécessaires à l’application d’une loi peuvent être déléguées, car une participation de toutes et tous sur l’ensemble des étapes de construction n’est pas envisageable. Cependant, celles-ci s’effectuent de manière publiquement contrôlée, au travers de mandat révocables dont les actes et implications sont régulièrement requestionnées par le collectif.
Également, Cornelius Castoriadis rappelle que les lois ne peuvent être légitimes qu’à partir du moment où chaque individu·e égal·e en droit a pu prendre part en toute connaissance de cause à son élaboration. L’autonomie politique prône ainsi une égalité du peuple non pas formelle mais effective comme condition nécessaire à la participation au pouvoir. Pour ce faire, celle-ci place la sphère publique comme élément central dans l’exercice politique, tant d’un point de vue spatial avec l’ouverture totale des lieux de décision et de discussion que d’un point de vue informationnel, avec la mise à disposition de l’ensemble des éléments nécessaires à la compréhension des enjeux de la délibération. Cette conception rejoint ici les fondements de la démocratie délibérative qui stipule qu’une décision ne peut être légitime qu’à partir du moment où elle est le fruit d’une délibération entre citoyen·nes égaux·ales. Les espaces publics étant les lieux où se construisent l’opinion, il est nécessaire qu’y soient échangés de façon ouverte des arguments rationnels pour la formation d’une pensée réfléchie et informée sur les situations constatées. Dans Morale et communication, Jürgen Habermas revient ainsi sur ce qu’il appelle le principe « D » (pour délibération). Celui-ci stipule qu’ « une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme. » Cela nécessite donc que le corps civil directement touché par la promulgation de la règle soit partie prenante de sa conception. De plus, pour que cette norme demeure légitime dans le temps, elle nécessite un regard rétrospectif qui juge cette dernière selon ce qu’Habermas appelle le principe « U » d’universalisation. Celui-ci stipule que « toute norme valable doit satisfaire la condition selon laquelle les conséquences et les effets secondaires qui (de manière prévisible) proviennent du fait que la norme a été universellement observée dans l’intention de satisfaire les intérêts de tout un chacun peuvent être acceptés par toutes les personnes concernées. » A l’épreuve de l’expérience, il est donc nécessaire que se construise un retour critique pour juger des implications réelles de la règle, tant dans les écarts entre théorie et pratique que dans la continuité de sa validité face à l’évolution du contexte social.
Cornelius Castoriadis rappelle également qu’une démocratie directe se construit dans le temps. D’une part dans la libération de moments dédiés pour la réflexion et la discussion afin d’éviter une prise de décision prématurée et assurer une plus grande égalité dans l’accès aux débats. D’autre part, dans le temps accordé à la formation. Pour Cornelius Castoriadis, si les citoyens ne se considèrent pas capables de gouverner, c'est bien « parce que toute la vie politique vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu’il y a des experts à qui il faut confier les affaires. » Face à cette « contre-éducation politique » doit s’opérer une formation continue à l’exercice de l’autonomie car elle n’est ni innée ni acquise mais se pratique, s’expérimente et se vit. Il est donc nécessaire pour chacun·e d’apprendre à argumenter pour être en mesure de justifier publiquement ses opinions. Qu’il se fasse à l’école où à l’échelle d’une communauté, cet apprentissage s’inscrit dans une praxis régulière qui lie étroitement des temps de pratiques à des temps d’analyse pour construire des décisions tout en les affinant continuellement.
Cependant, si cette conception délibérative de la démocratie construit l’égalité formelle par l’ouverture de la sphère publique et la prise en compte des avis de chacun, elle ne peut complètement s’affranchir des rapports de pouvoirs préexistants entre les groupes sociaux. Pour des auteurs et autrices comme Philippe Pettit, Nancy Fraser, ou encore Chantal Mouffe, la simple mise en place d’espaces de discussions rationnels et dépassionnés ne peut réellement mettre entre parenthèses les rapports de domination qui s’expriment dans les structures sociales. À l’inverse, ces espaces tendent même à les reproduire dans le sens où ils normalisent des modes d’expression favorables aux personnes issues des classes dominantes. En effet, dans des lieux où les prises de parole dépassionnées sont souvent considérées comme étant les seules légitimes car fondamentalement objectives, celles qui s’expriment au travers d’affects et d’émotions issues d’un vécu marquant vont spontanément y être écartées. Cela réinstaure une forme de hiérarchie entre les messages, dans laquelle les personnes issues d’un groupe socialement dominant se sentent plus aptes et légitimes à s’y exprimer, là où à l’inverse les groupes minorisés intègrent presque inconsciemment cette position inégalitaire et retrouvent leur voix marginalisée.
Pour les défenseur·euses d’une démocratie agonistique comme Chantal Mouffe, l’engagement politique implique nécessairement une forte mobilisation des affects, qu’il ne faut pas séparer de la partie argumentative et rationnelle. En s’exprimant au travers d’une pluralité de canaux d’expressions (prises de paroles, tags, manifestations, grèves…), celle-ci correspond à une des incarnations du dissensus qui constitue le propre même de la démocratie. Les tenant·es d’un agonisme s’opposent ainsi à « l'illusion du consensus » rationnel et universel, qui efface certaines revendications et génère inévitablement des formes d’expressions antagonistes qui se font au détriment du processus démocratique. À l’inverse d’une vision homogénéisante du peuple et de la réduction des moyens d’expression considérés comme légitimes, ces dernier·es prônent la création d’espaces qui reconnaissent la pluralité des modes d’expression, sans en imposer un comme normatif. Il s’agit là d’une condition nécessaire à la prise en compte des expressions dissidentes, afin d’éviter la finalité d’un faux consensus qui se fasse au détriment des groupes minorisés. L’agonisme est donc une vision de la démocratie qui reconnaît les antagonismes inhérents à l’organisation sociale, et insiste sur la nécessité d’une confrontation politique et idéologique reconnue comme telle dans l'espace public.
À l’image des thèses agonistiques, le rapport entre consensus et dissensus occupe une place centrale dans la pratique de l’autonomie politique chez les praticien·nes de l’éducation populaire. En effet, l’expression des avis divergents est considérée comme nécessaire pour comprendre les enjeux collectifs et individuels du débat, et dresser une vision plus large des implications qui entourent la délibération. Cependant, si un arbitrage doit avoir lieu à l’issue d’un échange, celui-ci doit s’effectuer par un consensus (à l’inverse d’un vote à la majorité) qui découle de la compréhension pleine et entière des enjeux du groupe et de chacun·e. Ainsi, un éventuel consensus ne peut avoir lieu qu’à l’issue de l’expression et de la compréhension de l’ensemble des dissensus impliqués par le sujet. Il est ensuite nécessaire d’analyser si l’adhésion de chacun·e au consensus exprimé se fait de manière soumise, convergente, conformiste ou volontaire, afin de prolonger ou non la délibération. Dans le livret sur la participation, la SCOP Le Pavé propose deux méthodes d’animation ayant pour objectif d’animer le conflit, et de faire ressortir les points bloquants qui entourent une proposition : le « consentement sociocratique » et l’ « élection sans candidature ». Celles-ci proposent de faire ressortir l’ensemble des objections rationnelles ou affectives qui pourrait s’opposer à la mise en place d’une règle. En formulant des propositions successivement discutées de façon analytique ou spontanément contestataires, elles construisent un débat dans un aller-retour constant entre critiques constructives et « déconstructives », qui fait ressortir les divergences afin de mieux les comprendre, les discuter et les intégrer. Bien que parfois fastidieuses, ces approches permettent de construire une proposition au plus proche des besoins et enjeux d’un groupe, qui assure par la suite une réelle application des règles collectives car comprises et acceptées par chacun·e.
Ces deux outils font partie d’une multitude de méthodes d‘introspection, de réflexion collective, de partage et de confrontation utilisées pour construire des moments d’écoute, d’échange, d’analyse et de décision qui animent le processus de délibération. Issues d’horizons variées, celles-ci sont continuellement transformées, adaptées et réinventées par les praticien·nes de l’éducation populaire dans l’objectif d’assister l’émergence d’une participation au débat qui inclut l’ensemble des personnes concernées. Il s’agit alors non pas d’appliquer un déroulé méthodologique de façon linéaire mais d’adapter les outils aux besoins du dialogue, comme des apports ponctuels dont la pertinence dépend de la capacité à construire l’échange. Par la pratique se créent ainsi des postures de critique et d’écoute qui permettent aux délibérant·es de faire émerger la pluralité des enjeux qui entourent le sujet traité dans une progression commune. On retrouve ainsi différentes catégories d’outils, tant pour s’écouter que pour dialoguer, analyser ou arbitrer, qui alternent des dispositions spatiales variées, des moments de concertations en petits effectifs et d’autres sous la forme d’échanges avec l’ensemble d’un collectif.
Les outils pour s’écouter sont ainsi utilisés à des moments divers d’un processus de délibération et ont pour objectif de faire ressortir les affects, partager les expériences, comprendre son lien au sujet et la façon dont il nous concerne. On les retrouve à la fois dans des moments d’introduction pour faire connaissance avec les gens présents et comprendre ce que chacun·e projette et attend, mais également en cours de débat ou en guise de conclusion pour faire ressortir les frustrations, les attentes et les désirs de chacun·e vis-à-vis de l’expérience vécue ou de la situation commentée. Parmi ceux-ci, on retrouve par exemple les « groupes d’interview mutuels ». Il s’agit d’une méthode utilisée au début d’un moment de délibération, qui a pour objectif de créer une première rencontre entre les participant·es par un échange sur les expériences vécues qui les lient au sujet. Par petits groupes et aux côtés de personnes qui ne se connaissent pas nécessairement, chacun·e raconte à tour de rôle son histoire tandis que les autres posent des questions pour l’aider à approfondir et mieux comprendre. Ce passage du vécu au sujet traité est ainsi un moyen de mieux s’approprier la discussion et d’appréhender ce qu’en attendent les autres. La « parole boxée » est un également un outil d'écoute qui permet de créer un moment spécialement dédié à une prise de parole libre et spontanée pour exprimer le fond de sa pensée. Cette méthode a pour objectif de prendre la température de la situation, permettre l’expression de sentiments contestataires mais également de faciliter l’accès à la parole publique. En effet, celle-ci ayant tendance à favoriser les personnes détenant une position de pouvoir dans le groupe, elle tend à minorer les manifestations de celles et ceux qui se sentent moins aptes ou moins légitimes à s’exprimer. On retrouve alors une reproduction des rapports de dominations entre groupes sociaux, mais également entre les niveaux d'ancienneté au sein du collectif ou les niveaux de connaissance sur le sujet traité. Pour limiter ces phénomènes, le temps de « parole boxée » propose d’accéder de façon totalement ouverte et ininterrompue à la parole pendant une durée maximum de cinq minutes chacun·e. Les participant·es sont placé·es en cercle et peuvent venir une seule fois s’y exprimer pour partager le fond de leur pensée, leur ressenti ou leur avis quel qu'il soit sur le sujet. Les passages s’enchaînent rapidement et incitent chacun à parler de manière brute et sans effets d’artifice.
Les outils pour dialoguer sont quant à eux utilisés pour organiser le débat et confronter les opinions en incitant à la participation aux discussions, en évitant les monopoles de paroles, en essayant de s’affranchir de la pression du groupe et en faisant émerger les dissensus. Parmi ceux-ci, le « débat mouvant » est un exemple parlant d’outil utilisé pour favoriser l’expression des antagonismes. Il se base sur un échange continu d’arguments entre deux camps dont les membres passent de l’un à l'autre en fonction de leur pertinence, et de l’évolution de leur point de vue. Ainsi, lorsqu’une situation clivante est détectée au sein d’une délibération, l’animateur·rice peut lancer un débat mouvant, et reformule alors le sujet de désaccord de manière à ce que les participant·es ne puissent s’affirmer que pour ou contre. Chacun·e est ensuite amené·e à se positionner physiquement dans l’espace en fonction de ses opinions, en interdisant aux personnes indécises de s’arrêter dans des espaces intermédiaires. De cette manière, ces dernier·es sont obligés de faire un premier choix qui pousse à réunir des arguments pour le défendre. Une fois les camps constitués, les participant·es s’envoient à tour de rôle leurs opinions dans un aller-retour continu qui auto-alimente l’apport de nouveaux éléments. Lorsqu’un argument est jugé valable par un·e belligérant·e, celui·celle-ci rejoint alors le camp l’ayant formulé. Cet outil permet ainsi de donner un état des lieux des opinions du conflit qui pose les bases d’une future analyse.
Un autre outil de dialogue est le « porteur de paroles », qui a pour objectif d’amener le débat dans l’espace public, afin de recueillir des avis et des témoignages mais également de sortir d’un entre-soi idéologique pour initier des discussions politiques. Pour cela, la méthode consiste à se rendre dans la rue avec une pancarte sur laquelle est posée une question intrigante, clivante ou volontairement naïve afin d’interpeller les passant·es pour qu’ils et elles expriment leur avis sur le sujet. Ces questions peuvent être d’ordres variés comme par exemple « Qui cuisine chez vous ? », ou encore « Si j’avais pas d’abri où dormir, tu m’accueillerais chez toi ? ». De ces réponses sont prélevées des phrases marquantes, qui peuvent être écrites sur une pancarte et accrochées à côté de la question initiale. Plus ou moins longues, et plus ou moins contradictoires, celles-ci s'accumulent et viennent constituer une scénographie d’opinions qui alimente l’échange lorsqu’un·e nouveau·elle passant·e arrive sur le lieu. L’objectif de cette démarche n’est pas de venir convaincre les interlocuteur·rices mais bien de lancer un débat sur lequel le ou la porteur·euse de parole n’a pas forcément de réponse. Celui-ci permet donc de prendre du recul, d'inviter les gens à questionner leur quotidien et permet de s’approprier l’espace public comme lieu d’échange et de débat politique.
Les outils d’analyse sont eux utilisés afin d’approfondir en détail des situations bloquantes, qui nécessitent d’être comprises par le groupe et les personnes le composant pour avancer dans la concertation. Parmi ces outils, le théâtre-forum est un des composants du théâtre de l’Opprimé développé dans les travaux d’Augusto Boal à la fin des années 1960. Celui-ci est utilisé dans des espaces de débats collectifs variés, allant de conseils de quartier, d’assemblées de copropriétaires, de conseils municipaux mais également dans des associations de lutte (par exemple dans des associations de théâtre-forum féministe) pour analyser et anticiper des réactions à des problèmes rencontrés au quotidien. Pour ce faire, le théâtre-forum propose de mettre en scène une situation identifiée comme posant problème (un moment d’oppressions, d’incompréhension ou de confrontation), afin d’initier une analyse collective qui décortique et propose des solutions concrètes. Des comédien·nes (professionnel·les ou non) jouent la situation clivante et invitent les participant·es à réagir aux moments leur paraissant déplacés ou révoltant, pour proposer une solution à la problématique identifiée. Ces dernier·es sont alors invité·es à interrompre la représentation, à rejoindre la scène pour remplacer l’un·e des comédien·nes et à jouer la manière dont ils ou elles auraient abordé le problème pour le résoudre. En multipliant les propositions et les analyses, cette approche permet de faire ressortir le fond du problème et l’expression des antagonismes, tout en permettant d’identifier la solution la plus appropriée au groupe et à la problématique.
Un autre outil d'analyse communément utilisé dans l’éducation populaire est la méthode de l’entraînement mental. Pensé comme un outil de réflexion critique et d’auto-formation, cette méthode trouve ses origines dans les travaux du sociologue, ancien ajiste et cofondateur de Peuple et Culture Joffre Dumazedier au sein de l’école des cadres d’Uriage en 1940. Face à l’orientation du régime pétainiste, ce dernier accompagné de plusieurs autres membres d’Uriage décide de rejoindre le maquis du Vercors pour s’engager dans la Résistance, où va être expérimentée et approfondie la méthode. Le maquis était alors occupé par un public hétérogène et désorganisé, composé de jeunes ouvrier·es et paysan·nes ayant fuit le STO, d’intellectuel·les, de catholiques, de communistes etc. Face au besoin d’organisation collective, les ancien·nes d’Uriage s’attellent à la construction d’une culture commune de résistance, et approfondissent l’entraînement mental comme outil de réflexion critique, permettant à chacun·e d’analyser des situations complexes en vue de la création d’actions. À la Libération, nombre d’entre elles et eux fondent l’organisation d’éducation populaire Peuple et Culture, dans laquelle se développe, se transforme et se transmet encore aujourd’hui la méthode. Celle-ci considère le cerveau comme un muscle à travailler comme les autres, dans une approche qui évolue selon les praticien·nes mais qui considère de façon commune l’individualité d’une personne comme indissociable de sa condition sociale. Elle se base ainsi sur un travail collectif qui s’organise autour d’une situation bloquante vécue par une personne, et s’attelle à construire une cartographie mentale de la situation par la classification et l’analyse de l’ensemble des éléments factuels, émotionnels, ou appréciatifs issus de son récit. Ceux-ci sont ensuite décortiqués pour trouver un point d’entrée dans la problématique, en débattant et reformulant la situation par le prisme de telle ou telle catégorie identifiée. Cela permet alors de faire ressortir l’influence de certains facteurs sous-évalués et d'accroître sa compréhension globale du sujet.
Design et éducation populaire - Pratiquer l’autogestion
Entretien avec Perrine, designeuse et praticien·ne de l’éducation populaire
Designeuse et militante d’une éducation populaire politique, Perrine a travaillé notamment dans le design d’innovation sociale et dans la médiation culturelle, où elle a constaté certaines impasses dans les dispositifs de co-création portés par les collectivités. Engagée en parallèle dans des associations d’éducation populaire, elle travaille aujourd’hui essentiellement dans ce domaine où elle ne fait plus la distinction entre son activité de design et celle d’éducation populaire. Elle prolonge son travail dans différentes structures associatives, notamment dans La Turbine à Graines qui propose des formations sur le développement de postures critiques, de construction de débats et d’accompagnement sur les pratiques autogestionnaires au sein de collectifs. Perrine Boissier a accepté de répondre à mes questions sur son parcours et son travail.
Quelles sont les étapes qui t'ont amenée à parler d’éducation populaire dans ta pratique ?
Pendant mes études, j’ai intégré le DSAA appelé aujourd’hui InSituLab à Strasbourg. Il se trouve que c’était la première promo et beaucoup de choses étaient encore indéfinies dans le programme, ce qui m’a beaucoup plu. Il y avait une équipe toute fraîche qui voulait travailler de façon assez libre, et notamment dans des dimensions très collectives avec une implication des élèves sur des questions d’organisation interne. J'ai senti assez vite que je n’allais pas m’orienter vers le design de produit par la suite. Malgré tout, j’ai commencé à la fin de mes études par aller voir dans des agences de design qui intégraient des problématiques écologiques. Mais le projet sur lequel j'étais missionnée relevait uniquement de la prospective et du récit, ce qui m'intéressait particulièrement, appuyé sur des formes qui ne me convenait pas (un univers de formes arrondies, lisses et brillantes). On continuait de coller hyper fort à ce que devait être du design urbain, ou à imaginer quel type de forme doit produire le design pour avoir l’air innocent et innovant, ce qui me posait question.
À la suite de ça, j’ai décidé de m’orienter plutôt vers le design de service et d’innovation sociale, qui était en pleine émergence. Les projets sur lesquels on travaillait se faisaient à l’échelle des collectivités territoriales, car c’était là où il y avait un peu de financements pour penser et innover sur des enjeux sociaux et d’intérêt général. Le problème c’est qu’on se retrouvait très éloigné·es du terrain, alors que j’avais l’impression que le design social devait à l’inverse aller au contact des gens directement concerné·es et faire avec elles et eux. Je me retrouvais à passer beaucoup de temps dans les bureaux avec des agent·es de service public. Même s’ils et elles étaient pleins de bonnes intentions, on était dans une culture de la concertation et non de la participation, c'est-à-dire un système qui incorporait peu la parole des personnes pour qui on était en train de concevoir. J'avais le sentiment que les projets étaient pensés d’avance et qu'il fallait ensuite donner des envies aux gens pour remplir des cases. On avait aucune vision de la réalité des personnes, on ne les interrogeait que sur ce qui nous intéressait, ce qui faisait qu’on passait à côté de l’utilité réelle des équipements imaginés. Il y avait plein d'initiatives qui méritaient d’être valorisées et soutenues, mais qui restaient sous l’eau parce que cela ne rentrait pas dans les cases du fonctionnement public.
C’était d’ailleurs la même chose lorsque je travaillais dans la culture. On était dans cette démarche de construction collective, mais comme on n'avait pas les moyens de porter cette parole plus haut, elle était peu soutenue en dehors de nous. Je finissais par reproduire inconsciemment le mécanisme qu’on retrouve dans les collectivités publiques, où on envoie quelqu’un qui va récolter et faire le·la porte-parole. Cela amenait à faire une sorte de traduction du discours des autres en langage institutionnel / "politiques publiques". Et puis de toutes ces paroles qu’on pouvait ramener, c’était les élu·es et technicien·nes qui décidaient finalement de ce qu’ils·elles en faisaient. J’étais donc dans un rôle tampon, entre des gens qui expriment leurs difficultés matérielles avant tout et des gens qui décident quoi faire de la parole des autres en ne gardant plus que ce qui les intéressent.
En parallèle de ces travaux, j’étais investie dans un café associatif à Marseille qui fait partie d’un réseau d’éducation populaire qui s’appelle le CREFAD. C’est vraiment dans ma culture bénévole où je m’impliquais beaucoup sur des thématiques politiques que j’ai été amenée à découvrir les pratiques d’éducation populaire comme les arpentages, les dispositifs de mise en débat... J’ai également eu l’occasion de lire les livres du Pavé sur les notions de participation et de projet, qui requestionnent les usages contradictoires qu’on peut avoir de ces mots et qui m’ont beaucoup parlé.
Est-ce que tu as eu envie de réinjecter ces outils d’éducation populaire dans tes projets ?
À vrai dire, j’ai un peu lâché tous les outils, ou en tout cas j’arrête de les utiliser tels quels. Je les ai dans la poche et j’en utilise à l’occasion, mais j’ai pris le parti de travailler plus sur la posture. C’est plus facile à dire maintenant que je me les suis appropriés. Il y a bien sûr eu des temps de formation où on me les a transmis et ça m'a bien bousculée au début et après ça m'a aussi beaucoup servi. Mais à partir du moment où on les pratique régulièrement, on s’aperçoit que cela ne produit jamais les mêmes effets. Et puis on met un peu tout dans le même sac. Il ne s'agit vraiment pas de recettes à appliquer. Par exemple, « l’entraînement mental ». On en parle comme d’un outil mais cela n’en est pas un. C’est une culture du questionnement et de l’articulation des points de vues pour arriver à construire de la pensée critique et politique.
Il y a une certaine dérive avec cette mode des outils dans les mouvements d’éducation populaire politique. On mélange des outils, des méthodes et des ressources, on leur donne des (plus ou moins) jolis noms et ça passe pour des remèdes dans des situations de conflit, de décisions, de dominations. Bref tout ce à quoi on aura jamais terminé de se confronter en réalité, et qui ne sont évidemment pas réglé après un petit atelier d'éducation populaire. Il faut sortir de cet effet de séduction qu’il peut y avoir quand ils sont présentés comme des solutions clé-en-main. Une des manières de déjouer cet effet commercial, c'est de clarifier les postures et les intentions de chacun·e avant de construire avec des outils. Si on a pas cela, on peut mettre en place toutes les techniques du monde, ça ne résoudra pas les problèmes.
En quoi est-ce que cette posture d’éducation populaire peut-elle être importante pour un·e designer·euse ?
Je trouve que cela aide à travailler le « pourquoi » on fait les choses et pas le « comment ». Le « comment », on apprend beaucoup à le faire quand on est designer mais le « pourquoi », on n’en parle pas assez. L’éducation populaire permet de clarifier la raison pour laquelle on fait les choses. Pourquoi ? Pour qui ? Et surtout qu’est-ce que cela implique ? De manière générale, on ne regarde pas assez les impacts de ce qu’on produit. Et je parle des réels impacts, pas juste une étude des retombées positives. Cela nécessite un vrai temps de débrief, qui questionne l’évolution en comparant l’avant/après, qui prend en compte les doutes, les émotions, les contextes...
Tu travailles dans des collectifs qui se constituent en coopératives. Est-ce que cette forme d’organisation rejoint la dimension sociale et politique que tu revendiques dans ta pratique?
Il se trouve que je travaille essentiellement dans des associations. La Turbine à Graines par exemple est enregistrée comme telle, même si on a un fonctionnement collectif proche de celui d’une coopérative. On n’a pas de parts mais un capital à but non lucratif et c’est ce qu’on défend. Cela ne me pose pas de problèmes de travailler dans une asso ou dans une coopérative, tant que le fonctionnement est explicite. Être une coopérative ou une association, cela ne veut rien dire de l'engagement politique. Ce n’est pas le statut juridique qui définit le fonctionnement interne mais comment s'organise concrètement l’activité et les prises de décision. Du coup si on parle d’autogestion, alors oui complètement.
Après, l’autogestion ça veut pas dire que tout le monde est égal·e sur tout, c’est plus complexe que ça. Dans la Turbine à Graines, on travaille en autogestion mais il y a des mandats qui sont distribués, des binômes de travail et d’interventions qui sont constitués et on réinterroge le tout régulièrement. L’objectif est de réfléchir les décisions suffisamment longtemps pour arriver à un consensus. C’est quand on a suffisamment défriché collectivement un sujet et qu’on a partagé assez d’informations qu’on peut valider quelque chose ou mandater quelqu’un pour le faire. Il y a un vrai enjeu à prendre ces décisions de façon collective car cela implique de les faire arriver à un certain niveau de maturation, qui fait qu’il n’y a pas de rancœur par la suite, ou en tout cas le moins possible. Quand on n’arrive pas à décider ou qu’on ne se sent pas assez mûr·es, on reporte la discussion et des personnes sont chargées de travailler sur les questions soulevées pendant la délibération.
Tu évoquais ton investissement dans l’association de la Turbine à Graines. Est-ce que cette expérience d’organisation collective vous sert dans les formations que vous y proposez ?
Oui, complètement. Avec la Turbine on propose un certain nombre de formations, dont une qui s’appelle « animer l’intelligence collective » qui ramène le spectre le plus large de personnes. Il peut y avoir des agent·es de collectivité publique mais il y a aussi des personnes en questionnement sur leur métier, des travailleur·euses sociaux·ales, des gens dans la pédagogie (profs, animateur·rices), des gens dans la culture, des services civiques, etc. Toutes et tous viennent parce qu'ils et elles s’intéressent aux questions liées à la démocratie et à la vie en collectif. En plus de ça, on accompagne aussi des collectifs qui nous demandent d’intervenir lors des situations de crises, des besoins de redéfinition du projet commun ou encore sur des questions de changement d’organisation interne. Dans cette situation, on s’immerge pendant deux à cinq jours dans la structure pour analyser sur place les dynamiques collectives, avec pour idée non pas de donner des solutions mais d’accompagner les gens à trouver les leurs.
otre expérience d’autogestion de l’association est donc vraiment ce sur quoi on s’appuie pour transmettre et animer l’intelligence collective. Tous les questionnements qu’on a en interne constituent une vraie force car cela nous permet d’expérimenter au quotidien. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on ne livre pas de recettes, parce qu’on est sans arrêt en négociation avec les enjeux, les cadres et les problématiques qui sont nécessaires à poser avant chaque décision. Il y a une citation de Paul Ricœur qui dit : « Est démocratie une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt, et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans ses contradictions, l’analyse de ces contradictions, et la mise en délibération de ces contradictions en vue d’arriver à un arbitrage. » Je trouve que cette citation est intéressante car elle parle bien de tout le travail qu’il y a avant la décision. C’est en faisant émerger les conflits d’intérêts, en les comprenant et en les analysant qu’on peut ensuite délibérer et finalement arbitrer les décisions. Même si « associer chacun·e à part égale » nous semble impossible pour le moment, cela nous sert un peu d’horizon.
- CCAS, « Vous avez dit éducation populaire ? épisode 4 : la démocratisation de la culture », Vimeo, 2018.
- LEPAGE Franck, « De l’éducation populaire à la domestication par la “culture“ », op. cit.
- MORVAN Alexia, Pour une éducation populaire politique. À partir d’une recherche-action en Bretagne, op.cit., p. 9.
- PEREIRA Irène, « Qu’est-ce que la conscientisation ? », Le Courrier, 23/11/2018.
- Paulo Freire revendique d’ailleurs l’influence de Célestin Freinet sur son travail.
- TOLINI Gauthier, « Dialogue entre Freinet et Freire : La neutralité et l'éducation (I) », IRESMO, 26/01/2017.
- Il écrira ainsi de nombreux texte en faveur d’une éducation à la paix, et notamment après son incarcération en camp pendant la IIe Guerre Mondiale.
- FREINET Célestin, « Vers l'école du prolétariat : la dernière étape de l'école capitaliste », in Revue CLARTÉ, n°60, 01/06/1924, p. 263-264.
- Entretien avec Philippe Meirieu. FORSTER Simone, « Les origines lointaines de l’école de demain », in Educateur, n°4, avril 2019.
- FREINET Célestin, « Les invariants pédagogiques - Code pratique d’école moderne », in Bibliothèque de l’école moderne, n°25, 1964.
- JACOMINO Baptiste, « Freinet et la coopération », Cahiers Pédagogiques, 06/05/2013.
- FREINET Célestin, « L’École prolétarienne et la crise », in L’Imprimerie à l’École, n°49, février 1932, p. 137-140.
- TOLINI Gauthier, « Dialogue entre Freinet et Freire (II) : l'éducation conscientisante », IRESMO, 09/03/2017.
- Paulo Freire cité par Gauthier Tolini, « Dialogue entre Freinet et Freire : La neutralité et l'éducation (I) », op. cit.
- FREIRE Paulo, Pédagogie des Opprimés, Paris, Édition Maspero, 1974, p. 51.
- Ibid, p. 60.
- Ibid, p. 51.
- Ibid, p. 60.
- FREIRE Paulo, d’après « Les niveaux de conscientisation chez Paulo Freire », Iresmo, 28/01/2019.
- PEREIRA Irène, « Qu’est-ce que la conscientisation ? », op. cit.
- FREIRE Paulo, ibid.
- PEREIRA Irène, ibid.
- CABANAS Edgar & ILLOUZ Eva, Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle, 2018.
- Danièle Linhart est sociologue et directrice de recherche au CNRS. Elle est spécialiste de l’évolution du salariat, des techniques de management et de gestion de la production.
Johann Chapoutot est historien, il enseigne à la Sorbonne. Il est spécialiste du nazisme, ses travauxportent sur la manière dont celui-ci s’inscrit dans l’histoire culturelle européenne. - Coopérative d’éducation populaire politique fondée en 2015, la SCOP L’Ardeur propose des formations pour construire sa conférence gesticulée.
- Christophe Dejours est psychiatre et psychanalyste du travail.
Claude Didry est sociologue, directeur de recherche au CNRS. Il développe une sociologie historique du droit du travail. - COUDRAY Sophie, « Réalité(s) et fantasme(s) d’un théâtre du peuple brésilien. Du Teatro de Arena au Teatro do oprimido, Augusto Boal et l’idée de théâtre populaire » in PICQUET Théa, GANDOULPHE Pascal, GÓMEZ Gérard (sous la dir.), Le peuple. Théories, discours et représentations, Aix, Cahiers d’études romanes, 2017, p. 449-460.
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- Série de trois cahiers produits par Le Pavé, intitulés respectivement « Le projet », « La participation » et « Récits de vies ». Ils sont disponibles sur le site de la SCOP.
- CCAS, « Vous avez dit éducation populaire ?épisode 4 : la démocratisation de la culture », Vimeo, 2018.
- [Extrait] LEPAGE Franck, « Inculture(s) 1. L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu ! Une autre histoire de la culture », 2006. [59:40 - 1:15:20]
- GSARA asbl, « Ch. Maurel : Qu'est-ce que le peuple ? », Vimeo, 2011.
- Politikon, « C'est quoi l'oppression ? - Capsule #13 », Youtube, 2019.
- Politikon, « C'est quoi l'intersectionnalité ? - Capsule #14 », Youtube, 2020.
- MIQUEL Philippe, « Pierre Bourdieu - Chercheurs de notre temps », CNDP, 1991.
- Fondation Copernic, « Focus#3 "La Pédagogie Critique" avec Irène Pereira », 2017.
- MEIRIEU Philippe, « L’éducation en questions - Célestin Freinet », Mosaïque Film et France 5, 1999-2001.
- [Extrait] RAMONET Tancrède, « Ni Dieu, ni Maître. Une histoire de l’anarchisme - Livre 1 », Arte, 2013. [1:07:57 - 1:12:20]
- Carte postale de l’école Freinet de Vences - L’imprimerie à l’école, 1936-1940, Association Amis de Freinet.
- Carte postale de l’école Freinet de Vences - Le four à pain, 1936-1940, Association Amis de Freinet.
- Carte postale de l’école Freinet de Vences - Construction de l’école, 1936-1940, Association Amis de Freinet.
- MEIRIEU Philippe, « L’éducation en questions - Paulo Freire », Mosaïque Film et France 5, 1999-2001.
- Centre de documentation Paulo Freire, « bell hooks et Paulo Freire : un dialogue radical », Youtube, 2018.
- CnajepTV, « BDM4 : Les pédagogies anti-oppressives », Youtube, 2018.
- Les Lucioles du Doc, « Rousseau, la mode et la prison », 2018.
- CABANAS Edgar & ILLOUZ Eva, Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle, 2018.
- TV5MONDE, « Eva Illouz: HAPPYCRATIE, méfions-nous des "vendeurs de bonheur" ! », Youtube, 2018.
- MOLVEAU Arthur, « Burnout.com : le management à contre sens », 2019.
- Les Déconnomistes, « Danièle Linhart : Salariat et modernisation managériale », Youtube, 2017.
- France Culture, « Johann Chapoutot : Les influences nazie du management moderne », Youtube, 2020.
- [Extrait] CARRÉ Jean-Michel, « J'ai très mal au travail - Entretien avec Christophe Dejours », Les Films Grain de Sable, 2006.
- BLONDEAU Aurélien, « Animer un atelier de désintoxication de la langue de bois », SCOP Le Contrepied, 2016.
- Augusto Boal au Théâtre de l'Opprimé de Paris, 1975.
- Expérimentations au Théâtre de l'Opprimé de Paris, 1975.
- BARATTA René & Compagnie Naje, « Histoire d’un chantier national », 2019.
- POULIQUEN Anthony, « Une autre histoire des classes sociales », 2016.
- Sauvegarde de Seine-Saint-Denis, « Le théâtre forum de La Bruyère à Bondy », Youtube, 2018.
- Politikon, « La démocratie représentative, pouvoir du peuple ? - Politikon #5 », Youtube, 2016.
- Datagueule, « Des mots, des mots... Démocratie ? - #DATAGUEULE 74 », Youtube, 2017.
- Ce soir ou jamais, « Jacques Rancière : "Le suffrage universel est une invention royaliste" - CSOJ - 22/01/16 », Youtube, 2016.
- Datagueule, « Marketing politique : Démocra-ciblée - #DATAGUEULE 68 », Youtube, 2017.
- Data Gueule, « Régime représentatif, mais de quoi ? - #DATAGUEULE 72 », Youtube, 2017.
- Acrimed & Le Monde Diplomatique, Médias français, qui possède quoi ?, décembre 2020.
- attacTV, « Les nouveaux chiens de garde, Yannick Kergoat (Acrimed) à ce soir où jamais (17 janvier 2012) », Youtube, 2012.
- Politika, « La démocratie participative », Youtube, 2017.
- Mediapart, « Usul. Allons-nous sauver le climat avec une assemblée tirée au sort ? », Youtube, 2020.
- MARKER Chris, « L’Héritage de la chouette », Arte, 1989.
- Le Média, « GILETS JAUNES : COMMENT FAIRE PLIER MACRON ? - VRAIMENT POLITIQUE », Youtube, 2019.
- Hors-Série, « Gilets Jaunes : démocratie et émancipation », Arrêt sur images, 2019.
- Politikon, « La démocratie délibérative, une alternative ? - Politikon #6 », Youtube, 2017.
- France Culture, « Quand la démocratie ne nous protège plus - Monique Chemillier-Gendreau », Youtube, 2019.
- Politikon, « Radicaliser la démocratie ? Agonisme, populisme et contestation - Politikon #17 », Youtube, 2019.
- France Culture, « Vive le dissensus ! », La grande table, 2016.
- Coopérative La braise, « Le conflit - on le gère ou on l'anime ? », Youtube, 2019.
- Coopérative La braise, « Techniques pour distribuer la parole dans un groupe », Youtube, 2018.
- [Extrait] TANGUY Gael & LEPAGE Franck, « Inculture(s) 5 : "Travailler moins pour Gagner plus" ou l'impensé inouï du salaire. Une autre histoire du travail et de la protection sociale. », SCOP Le Pavé, 2010. [1:17:25 - 1:21:00]
- BLONDEAU Aurélien, « Porteur de paroles », SCOP Le Contrepied, 2016.
- Théâtre de l'Opprimé, « TO - Présentation théâtre forum RuiFrati - Filipe Ferraz », Vimeo, 2014.
Design et transformation sociale
Si je retiens de l’éducation populaire la volonté de construire une émancipation et une transformation sociale par la conscientisation, la lutte contre les rapports de domination et l’autonomisation, il devient alors possible de faire émerger des liens thématiques avec des pratiques créatives affiliées au design. Pour cela, j’utilise ces enjeux portés par l’éducation populaire comme une grille de lecture, afin d’identifier des projets de transformation sociale proches de nos moyens d’expressions. Je liste ici des dispositifs qui investissent nos espaces publics et privés pour construire une autonomie et transmettre un discours critique, en utilisant l’objet, le graphisme et le service comme moyens d’actions. Il s’agit d’une sélection personnelle, partiale, large et non-exhaustive, qui met en avant des travaux parfois issus du monde du design et parfois qui lui sont indépendants. Si la sélection resserrée d’exemples peut être redondante avec des projets antérieurs, ou anecdotique par rapport à des équivalents de plus grande envergure, il me paraissait néanmoins intéressant de les montrer car ils constituent des exemples parlant des liens existants entre des pratiques militantes et nos outils.
Les femmes s’emparent de l’espace public – acte 2
Sérigraphie et visibilisation des luttes féministes - Passer’elles et l’Ambassade du turfu, 2019
Le groupe de femmes de Passer’elles s’associent aux graphistes de l’Ambassade du Turfu pour produire des affiches à coller aux alentours de leur quartier de résidence. Ces femmes se réunissent régulièrement en non-mixité pour échanger sur leur quotidien. Elles utilisent ici la sérigraphie pour affirmer leur présence dans l'espace public et se défendre face aux situations d'oppressions qu'elles y subissent. Produire des affiches permet de générer des discussions, puis de construire des slogans et des revendications communes, dans l’objectif se réapproprier ces espaces et de s’y sentir plus à l’aise. Elles apprennent à utiliser la sérigraphie, qui est un outil particulièrement utile pour produire artisanalement des affiches en série. Celles-ci sont tirées en une centaine d'exemplaires, puis sont affichées dans les environs ce qui donnera lieu par la suite à une exposition photo. Le graphisme devient ici le support d’un moment de politisation, d’auto-formation et d’action pour reprendre sa place dans un espace hostile.
Des illustrations scientifiques à destination de personnes trans - OUTrans, Hélène Mourrier, 2011-2013
TRANSformation : MT* / FT* est un projet qui met à disposition des ressources techniques concernant la chirurgie, à destination des personnes trans. Il a été réalisé par Hélène Mourrier, graphiste, en partenariat avec l’association OUTrans qui organise des groupes de discussions par et pour les personnes concernées afin d’échanger sur les questions concernant la transidentité. Le projet propose deux livrets qui retracent les différentes étapes de la masculinisation et de la féminisation du corps, sous la forme de schémas techniques. L’utilisation de ces documents par l’association permet d’ouvrir l’accès à l’information pour des personnes curieuses, sans passer par des institutions qui sont souvent peu formées aux questions relatives aux transidentités. Les formes géométriques sont utilisées pour représenter de façon claire la complexité de ces opérations, et les couleurs chaudes rompent avec l’austérité des représentations techniques traditionnelles des corps. Les livrets servent de support d’échange et d’auto-formation pour démystifier le travail de la médecine et mieux appréhender le fonctionnement des transformations souhaitées.
Une coopérative agricole d'autoconstruction, depuis 2009
L'État français, aux côtés des grands groupes industriels agricoles, promeut l'utilisation d'outilsde production technicistes, fermés et onéreux. Les membres de l'Atelier Paysan dénoncent une visioncourt-termiste de la production, qui vise à rendre compétitif le secteur agricole sur les marchésinternationaux, au détriment des enjeux écologiques et des conditions de travail desagriculteur·ices. L'utilisation des brevets et de certaines formes de subventions créent unedépendance aux fournisseurs et aux aides économiques, qui dépossède les travailleur·euses de leursoutils de production et de leur force politique.
Face à l'érosion des savoir-faire, des écosystèmes et des conditions de vie, l'Atelier Paysan travaille à la transformation du modèle productif agricole dominant vers des pratiques d’agro-écologie paysanne. Ils et elles défendent une souveraineté technologique des agriculteur·ices, qui passe par la réappropriation des outils et infrastructures de production. Celle-ci devient nécessaire pour assurer l'autogestion des cadres de travail et passer à une agriculture biologique libérée des lobbys industriels. Pour ce faire, la coopérative propose une aide technique au paysan·nes ainsi qu'une production de contenu politique.
Le site de l'Atelier Paysan accueille de nombreux plans d'outils et d'infrastructure à construire à partir de composants non propriétaires. Les objets deviennent réparables, et chaque agriculteur·ice peut les adapter aux spécificités de son exploitation. Des formations sont également proposées pour assister le développement de ces infrastructures.
En parallèle de ce contenu technique, la coopérative héberge la diffusion de contenu critique qui alimente les réflexions sur les enjeux politiques autour de l'évolution du secteur. On y retrouve le « Manifeste pour une souveraineté technique des paysan·nes » qui situe la position de la coopérative face aux orientations actuelles du modèle productif agricole.
Le site contient également une série de vidéos d' « autodéfense intellectuelle » produites par la coopérative. On y retrouve des conférences et des conférences gesticulées de chercheur·euses et de militant·es. Celles-ci s'inscrivent dans un objectif d'éducation populaire, que les membres de la coopérative rappellent nécessaire pour construire un rapport de force avec l'industrie, et réfléchir à de nouveaux modèles.
Un kit d'éducation sexuelle - Fanny Prudhomme, depuis 2017
Les Parleuses est un kit d'éducation sexuelle pour accompagner enfants, adolescent·es et adultes dans la compréhension du sexe féminin. Sujet encore souvent couvert de tabous, il engendre une méconnaissance qui limite l’accès aux soins, aux protections et à l’épanouissement sexuel. Dans une perspective d’émancipation, pour mieux comprendre et s’approprier son corps, le kit se pose comme un outil d’apprentissage qui incite à l'interaction et suscite la curiosité. Celui-ci est composé de matériaux simples et aux textures variées, qui suggèrent par le toucher les différents organes. La manipulation de ces objets permet de sortir d’un cadre d’apprentissage passif et des représentations figées, traditionnellement dispensées sous la forme de planches anatomiques en deux dimensions. Le kit sert de support éducatif à des professionnel·les de la santé, des enseignant·es et des militant·es associatif·ves pour expliciter le fonctionnement de ces différents organes et pallier aux risques de la mésinformation.
Répertoire d’objets de lutte
Disobedient Objects est une exposition ayant eu lieu au V&A Museum de Londres en 2014. Celle-ci recensait une série d’objets et de dispositifs utilisés dans des mouvements de lutte à travers le monde. Si la légitimité d’un tel musée à incorporer ces outils d’autodéfense en son sein est discutable, la compilation met néanmoins en avant des objets simples et ingénieux qui gagnent à être diffusés. Nés d’un besoin d’efficacité, ceux-ci exploitent des matériaux et des techniques de fabrication basiques pour permettre à des manifestant·es sous équipé·es de faire face à la répression policière. On retrouve par exemple un masque de protection contre les gaz lacrymogènes découpé dans une bouteille d’eau, ou des boucliers qui deviennent des supports d’expression pour diffuser des titres de livres. En tant qu’objets d’action pour une transformation sociale, ceux-ci participent à un processus de politisation. Leur temps de fabrication dans la préparation d’une manifestation sont supports d’échanges, et ils participent à diffuser des techniques d’anti-répression pour porter sa voix dans l’espace public. Certains objets présentés s'accompagnent de manuels de fabrication réalisés sur commande du musée pour l’exposition.
Objets de lutte
Autres objets de lutte
Le répertoire précédent datant de 2014, de nombreuses initiatives ayant donné lieu à des objets de luttes sont apparues depuis. On retrouve par exemple les cabanes des Gilets Jaunes, les outils des manifestant·es hongkongais·es ou encore l’initiative des « Mémés et Pépés révoltées ».
1) Maison citoyenne des Gilets Jaunes du Gers
Avec le début des occupations de rond-point en 2018, apparaissent rapidement des cabanes construites par les Gilets Jaunes. Celles-ci jouent un rôle important dans la vie politique du mouvement, tant comme espace de vie collective que comme lieu de débat. Elles servent de support pour visibiliser les revendications et comme lieu d’organisation et de prise de décision.
2) Mouvement social de Hong Kong
Lors du mouvement social hongkongais de 2019, les manifestant·es regorgent d’inventivité pour faire face à la répression policière et pour s’organiser. De nombreux objets sont détournés, comme des cônes de circulations utilisés pour éteindre des palets de lacrymogène, des woks pour contenir des grenades de désencerclement ou des lasers pour contrer les caméras des services de renseignement. Des barricades sont également fabriquées avec des serflex et des barrières de circulation, ou encore des centaines de bambous sont collés au sol pour bloquer l’avancée de la police.
3) « Mémé révoltée » contres les violences policières
Depuis l’été 2020, des papis et des mamies vont dans la rue pour tricoter en hommage aux victimes des violences policières. En tricotant leurs noms dans l’espace public, ils et elles participent à visibiliser et dénoncer ces violences, tout en invitant à échanger sur le sujet.
Un répertoire d’objets électroniques politiquement engagés - Garnet Hertz, 2017
Le livret Disobedient Object recense une série d’objets revendiqués comme politiques, allant de l’objet manifeste à des outils d’action directe, qui utilisent des composants électroniques comme base de fonctionnement. Si beaucoup sont de l’ordre du gadget anecdotique, certains comme l’abortion drone et le GrapffitiWriter se démarquent par leur fonctionnalité.
L’abortion drone est utilisé par l’association Women On Waves en Pologne, qui achemine des pilules contraceptives à travers la frontière en utilisant des drones, pour donner accès à l’avortement dans des endroits où il est légalement interdit. À rebours des utilisations répressives et guerrières souvent associées à cet objet, le drone devient ici un outil de lutte pour améliorer les conditions de vie de femmes qui subissent des lois réactionnaires régissant le contrôle de leur corps. Le côté furtif, rapide et pilotable à distance du drone est tout indiqué pour esquiver les contrôles et acheminer des petits objets.
Le robot GraffitiWritter a été imaginé en 1998 par l'Institute of Applied Technology, qui produit une série de « robots contestataires », pour assister des actions militantes. On le retrouve au côté d’un robot distributeur de tracts, d’un site internet permettant d’éviter les caméras en ville et d’un outil de chaîne de messages pour communiquer à grande échelle dans une manifestation. Ce robot en open source permet quant à lui d'écrire des slogans à distance avec des bombes de peinture montées sur une voiture télécommandée. Des versions plus grandes ont été installées sur des camionnettes, pour écrire des slogans visibles de plus loin. Si certains de ces objets peuvent être rétrospectivement qualifiés de gadgets, ils demeurent intéressants dans les liens qu’ils créent entre bidouillage électronique et activisme.
Des supports d’ateliers pour découvrir les origines arabes de mots français - Yasmeen Tizgui, 2018-2021
Le téléphone arabe est un projet qui prend la forme d’ateliers pour enfants, dans l’objectif de faire comprendre les déformations et évolutions de la langue française. Partant du constat que plus 700 mots français viennent de l’arabe, Yasmeen Tizgui met en place des dispositifs interactifs pour donner à voir, à écouter et à manipuler les mots. Les enfants évoluent seuls et en groupes sur quatre étapes, pour comprendre les hybridations et composer des mots avec des lettres au sol. Ces outils permettent de transmettre une compréhension de la langue en évoluant dans l’espace et en participant de manière active dans l’appropriation du savoir.
Un support d’apprentissage pour comprendre les enjeux des blockchains - Collectif Bam, 2016
Blockchain Vaisselle est un dispositif interactif accompagné d’une histoire sur la corvée de vaisselle pour comprendre les enjeux liés à l’utilisation des blockchains. Cette technologie dont les conséquences se profilent comme majeurs dans la décentralisation de la gestion des données demeure néanmoins difficile à comprendre, tant dans son fonctionnement que dans ses implications à venir sur nos institutions. En matérialisant le fonctionnement d’une blockchain au travers d’un dispositif narratif ancré dans notre quotidien, cela permet d'en appréhender les bases, les subtilités et les enjeux.
Des outils d’auto-gynécologie en open source
Ce projet du collectif Gynepunk prend ses racines dans le biolab Pechblenda, faisant partie de la communauté de Calafou qui est un espace de vie collective situé à l’ouest de Barcelone. Gynepunk y conçoit un kit en open source qui permet d’effectuer des analyses gynécologiques à partir d’une centrifugeuse, d’un microscope et d’un incubateur. L’objectif est autant pédagogique que fonctionnel. D’une part, ces outils peuvent être utilisés par des personnes non initiées pour mieux comprendre le fonctionnement de leur organisme grâce à l’analyse des fluides corporels. D’autre part, ils peuvent être mis à disposition de personnes précaires, migrantes ou des travailleuses du sexe, qui sont éloignées de l’accès aux soins. Leur faible coût de fabrication et leur réplicabilité dans des fablabs les rendent donc utiles comme moyen pédagogique, mais également comme outil de dépistage et d’auto-analyse du corps.
Une recherche sur la typographie inclusive, 2020
Bye-Bye binary est une recherche typographique qui vise à démasculiniser l’écriture pour la rendre plus représentative de la population. Ce travail propose d’introduire des symboles pour affirmer la place des femmes et les personnes non-binaires (ne se définissant pas dans les genres masculins et féminins), en se basant sur les utilisations de plus en plus répandues de l’écriture inclusive. L'enjeu étant de transformer les règles typographiques pour y adosser étoiles, points médians et des pronoms non genrés (« iel », « celleux »…) sans complexifier la lecture. Ce travail propose pour cela des nouveaux glyphes, des éléments de liaisons et des contractions (i et e contractés pour écrire « iel » par exemple).
Images issues du site de Loraine Furter, ayant participé au groupe de recherche « By-bye binary ».
Conclusion
Culture et action culturelle dans l’État
La découverte au travers de l’histoire de l’éducation populaire des enjeux politiques autour des définitions de la culture semble être un point d’entrée intéressant pour comprendre les apports que ces pratiques éducatives peuvent avoir sur nos travaux de designer·euses. Si notre métier est en grande partie affilié au domaine de la culture, il paraît important de questionner l’image que ce terme incarne dans les instances gouvernementales. D’une part car celles-ci participent à en normatiser une vision qui lui est propre, et d’autre part car elles influent sur la définition et la catégorisation du design dans nos institutions. À cet égard, les débats autour de la pluralité des incarnations de l’action culturelle qui occupent une place prépondérante et conflictuelle dans l’histoire de l’éducation populaire, peuvent venir nous éclairer par une lecture critique du rôle que tend à lui attribuer aujourd’hui l’État.
Face à l’incorporation des pratiques d’éducation populaire dans une action culturelle institutionnalisée, les praticien·nes se revendiquant d’une éducation populaire politique font état d’une vision volontairement dépolitisante et réductrice. Ils et elles dénoncent la polarisation dans une dualité qui substitue des pratiques d’analyse critique de la société, à des activités recentrées sur la consommation et la création de loisirs sportifs, littéraires et artistiques. À l'inverse, ces militant·es définissent la culture comme une entité protéiforme qui regroupe l’ensemble des référentiels socialement acquis par une personne pour appréhender le monde dans lequel elle s’inscrit. L’éducation populaire, pensée comme une éducation « au politique », considère alors l’action culturelle comme l’ancrage de pratiques conscientisantes dans la pluralité de ces référentiels, dans une perspective d’émancipation. En tant que designer·euse, cette affiliation d’un rôle politique et critique à l’action culturelle semble intéressante pour interroger le carcan de la création artistique porté par le ministère de la Culture. Définir les activités liées au secteur culturel comme des activités de compréhension et d’action sur son environnement, participe à élargir la définition des champs d’actions du design au-delà des seules questions esthétiques, techniques ou méthodologiques. Ces activités de transformation pouvant s’inscrire dans des visions politiques variées, il devient cependant nécessaire d’en questionner les perspectives idéologiques afin de se positionner quant à ses objectifs et ses modalités.
Activités créatives et politique
À l’image des militant·es de l’éducation populaire qui accompagnent la redéfinition de l’action culturelle à la revendication d’un rôle politisé à leur pratique, questionner la dimension idéologique de nos activités de création semble être une prolongation intéressante. Dans l’objectif d’analyser nos pratiques par le biais d’un positionnement politique, il s’agit dans un premier temps d’affirmer que celui-ci est intrinsèque à nos activités de création. Comme ont pu l’expliquer des pédagogues issus des pédagogies critiques, nouvelles et libertaires, toute action (qu’elle soit éducative, créative, productive etc) est inévitablement politique car elle s’inscrit dans un rapport social, influencée par des normes et des institutions vis-à-vis desquelles elle se positionne. Revendiquer cette politisation devient alors nécessaire pour se détacher d’une certaine illusion de la neutralité, qui tend à reproduire des rapports de dominations en empêchant d’aborder les questions sociales qui les mettent à jour. Il s’agit donc d’être en mesure de comprendre et d’expliquer la non-neutralité de nos approches aux personnes concernées par nos pratiques, qu'elle soit liée à des biais personnels ou aux contraintes du cadre d’exercice imposé. Pour comprendre notre partialité et s’y positionner, il se pose alors la question du prisme de lecture par lequel construire l’analyse.
Dans l’ouvrage Design pour un monde réel, paru en 1971 et encore utilisé aujourd’hui comme référence dans la critique des métiers de la création industrielle, Victor Papanek explique que « dans notre société, le designer doit obligatoirement comprendre clairement l'arrière-plan politique, économique et social de ses actes ». Si cette assertion semble largement partagée dans nos milieux, spécifier l’orientation politique par laquelle passe cette compréhension paraît ainsi nécessaire. Deux personnes aux constructions politiques et culturelles éloignées auront des lectures idéologiques tout à fait différentes de cet arrière-plan, dont découleront des analyses et des propositions potentiellement antagonistes de la « bonne » démarche à suivre. Pour les militant·es d’une éducation populaire politique, cette compréhension passe par une lecture critique des rapports de dominations. Cet ancrage amène à décortiquer leurs intrications structurelles et interindividuelles afin d’agir sur des institutions comme le langage, l’éducation ou les modes de gouvernance qui participent à leur élaboration. En tant que designer·euse, cette grille de lecture est une porte d'entrée intéressante pour analyser les incidences de nos projets sur le corps social, de leurs phases de construction à leurs phases d’utilisation. Si la diversité des champs d’applications que nous investissons amène à considérer une vaste pluralité de vecteurs d’actions, il est néanmoins possible de questionner certains invariants. On peut ainsi noter la hiérarchie dans la relation entre designer·euse et usager·e, les questions de représentations dans les phases de communication, la place de nos projets dans les rapports de production ainsi que les incidences de leurs implantations dans nos espaces de vie. On peut alors se demander dans quelle mesure ceux-ci participent à la reproduction de logiques d’exploitation, de marginalisation, de dépendance, ou d'hégémonie qui renforcent les positions d’un groupe socialement dominant, d’une entité privée ou d’une institution publique.
Analyser l’organisation sociale, questionner la participation
Pour arriver à cette compréhension, les militant·es de l‘éducation populaire articulent dans leur travail la transmission d’outils d’analyse de l'organisation sociale, et l’accompagnement de groupes dans la gestion collective des espaces de vie sur des bases appliquées de démocratie directe. Considérant ces deux activités d’éducation et de gouvernance comme des vecteurs de reproduction des rapports de domination sur lesquels se projettent les inégalités préexistantes entre les groupes sociaux, ces dernier·es expérimentent et réhabilitent une pluralité d’outils qui tentent de s’en affranchir. Cette posture amène alors à questionner tant la relation hiérarchique traditionnelle entre maître·sse et élève que la place de chacun·e dans les espaces de prise de décision. Dans une perspective d’éducation au politique, ceux·celles-ci défendent un apprentissage dialogique qui se base sur les expériences de vie quotidiennes des participant·es pour construire des couches successives d’analyse critique. Ces éléments personnels comme les éléments théoriques apportés par les encadrant·es deviennent des supports de discussion dont la pertinence avec les situations vécues sont analysées collectivement, et permettent de lier sa situation à des réalités sociales systémiques. Dans une approche similaire, le travail d’accompagnement à la construction d’une capacité à s’autogérer vise à développer une compréhension de l’ensemble des enjeux individuels et collectifs entourant un sujet. En approfondissant des liens de causalité et en requestionnant la validité des règles, il s’agit de comprendre dans quelle mesure l’adhésion aux projets se fait de manière soumise, convergente, conformiste ou volontaire, afin de proposer des solutions au plus proche des enjeux des groupes concernés. Les militant·es explorent donc une pluralité d’outils qui visent à développer la participation de chacun·e dans la réappropriation des outils de compréhension et d’action sur son environnement, qui se distinguent des rôles passifs attribués aux citoyen·nes dans les systèmes représentatifs et aux élèves dans les pédagogies traditionnelles.
Cette approche vient ainsi questionner la notion de participation et la manière dont elle se construit dans nos lieux de socialisation. Que se soit à l’école, au travail, dans l’espace public ou dans les lieux de décision, les militant·es de l’éducation populaire dénoncent sa matérialisation domestiquée, dans une injonction qui limite les écarts aux termes du cadre institué. Cette transformation de la notion de participation, qui intègre des revendications d’ouverture des systèmes fermés pour renforcer des logiques de cloisonnements, invite à questionner la notion de co-création qui tend à s’imposer de manière générale dans les discours des designer·euse et porteur·euses de projets. Avec le développement des champs d’activités du design dans des domaines allant du numérique à l’innovation sociale, s’exportent une multitude de méthodes centrées utilisateur·ices. Elles accompagnent le développement des discours mettant en avant des démarches de « co-construction » dans la production d’objets, de services ou de dispositifs qui se revendiquent par et pour les usager·es. La mise en place de ces démarches qui implique des temps d’échange avec les personnes concernées amène cependant à questionner la marge de manœuvre qui leur est accordée dans la construction du projet, ainsi que la manière dont leur parole va être prise en compte. On peut se demander dans quelle mesure des attentes sont projetées sur des personnes supposées bénéficier de ces productions, et la manière dont leur parole peut servir de caution dans la validation d’un projet pensé en amont. Cela interroge également sur la manière dont nous sélectionnons et traduisons une parole en projet, des écarts éventuels que cela induit et de la manière dont les commanditaires vont réellement se saisir des problématiques identifiées.
L'agenda du design
Ces thématiques invitent à questionner de manière plus générale le cadre d’exercice du métier de designer·euse et la façon dont celui-ci structure les marges de manœuvre dont nous disposons au sein d’une activité professionnelle. Dans Les cahiers du Pavé n°1 - Le projet, les militant·es de la SCOP Le Pavé posent un regard critique sur les fondements et les dérives du fonctionnement par projet, ainsi que sur la façon dont celui-ci s’insère dans les milieux de l’entreprise et de l’associatif. Le projet étant à la base de notre méthodologie de travail, il paraît intéressant d’en questionner les limites et la manière dont il impose un rapport au temps et à la rentabilité, qui tend à formater notre approche d’une problématique et réduit les formes de réponses qu'il nous est permis de proposer. Les militant·es du Pavé déclarent ainsi : « Nous pensons que travailler par projets dénature, dépolitise, ou plus simplement détruit le sens de nombreux métiers ». La méthodologie par projet, qui trouve ses racines dans les travaux de l’ingénieur Henry Gantt, se construit comme un outil de résolution des problèmes. Cette résolution passe par la définition d’objectifs et de moyens de les atteindre, à l’aide de techniques d'évaluation et de gestion basées sur des résultats quantifiables. Ce modèle de fonctionnement qui induit un cadre de pensée nourri et orienté vers la rationalisation, pose question dans sa manière de réduire une problématique à une série de finalités. Lorsque cela touche à des questions politiques (c'est-à-dire de manière quasi systématique), on peut s’interroger sur le degré possible de remise en question. Il se pose donc la question de qui formule l’objectif du projet, avec quel niveau de compréhension du problème, avec quelle volonté de transformation et avec quelle analyse des incidences concrète ? En imposant une temporalité courte et déterminée par le diptyque problème/solution, le projet limite ainsi les marges d’action au détriment des subtilités d’une action sur le long terme, qui expérimente et évolue en même temps que son terrain d’implantation.
Cette critique de l’aspect solutionniste du fonctionnement par projet fait échos aux thèses défendues par Tiphaine Kazi-Tani concernant les limites de « l’agenda du design » et des compatibilités possibles -ou non- entre design et militantisme. Dans la conférence Design Marabout n°2 - Design et activisme, Tiphaine Kazi-Tani décrit l’agenda du design comme un ensemble de contraintes qui brident l'exercice du métier par son insertion dans l’économie de marché. Historiquement, cet agenda est celui du capitalisme industriel et du commerce, qui structure l’offre de travail et notre place dans les rapports de production. Malgré des résistances dans les mouvements des Arts and Crafts ou chez les radicaux·ales italien·nes, les designer·euses participent inévitablement à exécuter cet agenda dès lors qu’ils·elles exercent une activité répondant aux besoins de la production industrielle. Les évolutions plus récentes des champs d’activités du design vers les secteurs du service et de l'innovation sociale n’échappent pas à son absorption dans un agenda qui le conditionne. Celui-ci évolue selon les commanditaires, qu’ils soient des entreprises privées ou des institutions publiques, qui demeurent les décisionnaires finaux sur nos travaux. Si nous disposons de certains leviers de persuasion par nos outils de communication, notre influence sur les décisions demeure assujettie à la commande. Des changements de surface peuvent donc être opérés mais une remise en question fondamentale de cette commande, liée à une critique politique de fond, restera nécessairement marginalisée. Quand bien même le·la designer·euse initie la commande, il ou elle se retrouvera confronté·e à l'inertie des acteurs nécessaires à sa réalisation, s'affranchir de cette hiérarchie ne permettant pas pour autant de s'extraire de la soumission à l’économie de marché. Ce constat fait ainsi écho aux critiques formulées par Perrine Boissier suite à son activité dans l’innovation sociale. Les financements attribués par les institutions publiques dépendent de la capacité du·de la designer·euse à insérer les projets dans les cases administratives et idéologiques du fonctionnement public. Les initiatives visant à développer un pouvoir d’agir en remettant en cause les hiérarchies sociales sont quant à elles mises à l'écart au profit de logiques répressives d’insertion et de pacification.
La capacité d'action du design est donc captée dans des « agendas » auxquels celle-ci participe activement, de manière plus ou moins volontaire. Face à cette contrainte du cadre d'exercice, Tiphaine Kazi-Tani oppose la figure du·de la designer·euse engagé·e à celle du·de la militant·e qui intègre ses compétences de designer·euse dans une lutte. Considérant que ces cadres rendent impossible une critique et une action politique de fond dans une activité professionnelle, les possibilités d'engagements réelles d'un·e designer·euse se situent dans les mouvements sociaux. Le·la designer·euse n'est alors plus designer·euse mais un·e militant·e qui met à disposition ses outils pour une lutte qui le·la concerne ou qu'il·elle appuie. Le paradigme d'exercice se transforme, passant d'un design solutionniste (répondant à une problématique sans réelle possibilité de remise en question et dans un temps déterminé) à des pratiques de transformation sociale continue. Celles-ci se différencient car elles ne cherchent pas tant des réponses finies, mais des moyens de changement basés sur des actions visant les fondements et les matérialisations des rapports de dominations.
La portée militante de notre activité professionnelle nécessite donc d’être considérée dans ses limites. Néanmoins, il demeure impossible de nous affranchir de tout rapport marchand pour des raisons financières évidentes. Dans une perspective de design engagé, un rapport doit être trouvé par chacun·e entre travail et militantisme. Tout travail en design n’ayant pas les mêmes incidences sur le corps social, une limite éthique personnelle semble importante à déterminer selon ses convictions et/ou ses difficultés dans l’accès à l’emploi. Si une pratique engagée est revendiquée dans le cadre de son activité professionnelle, il paraît important d'évaluer le rapport entre l'énergie à y dépenser et la pertinence du résultat concret, au regard des contraintes posées par l’agenda dans lequel elle s'insère. En parallèle, un investissement dans des pratiques militantes permettra quant à lui de mobiliser plus amplement ses outils au bénéfice d'une transformation sociale. Cet investissement peut alors s'exprimer par différents vecteurs, allant de l'action syndicale sur son lieu de travail à la participation à des activités politiques, associatives et/ou spontanées. Si cette dualité est énergivore et temporellement contraignante, elle paraît importante à considérer dès lors que nous désirons défendre une pratique engagée de notre métier.
Ressources
Livres
- FREIRE Paulo, Pédagogie des Opprimés, Paris, Édition Maspero, 1974.
(Rédigée au Chili en 1968. Première édition : Paz e Terra, Brésil, 1974). - COCK(de) Laurence & PEREIRA Irène (sous la dir.), Les pédagogies critiques, Marseille, Agone, 2019.
- BOURRIEAU Jean, L’éducation populaire réinterrogée, Paris, L’Harmattan, 2001.
- LÉPINAY (de) Adeline, Organisons-nous ! Manuel critique, Marseille, Hors d'atteinte, 2020.
- BLONDIAUX Loïc, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008.
- HOUSSAYE Jean, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, Paris, Bordas pédagogie, 2002.
- MANIN Bernard, Principes du Gouvernement Représentatif, Paris, Flammarion, 1996.
- SCOP Le Pavé, Les cahiers du Pavé n°1 - Le Projet, Le Pavé, 2013.
- SCOP Le Pavé, Les cahiers du Pavé n°2 - La participation, Le Pavé, 2013.
- SCOP Le Pavé, Les cahiers du Pavé n°3 - Récits de vie, Le Pavé, 2013.
- CITRON Suzanne, Le mythe national : L’histoire de France revisitée, Ivry-sur-Seine, l'Atelier, 2008.
- CASTORIADIS Cornélius, Les carrefours du labyrinthe Volume 4. La montée de l'insignifiance, Paris, Seuil, 2007.
- RANCIERE Jacques, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005.
- BOAL Augusto, Hamlet and the Baker’s Son : My Life in Theatre and Politics, Londres, Routledge, 2001.
- SANGNIER Marc, L’éducation sociale du peuple, Paris, Le Sillon, 1904.
- ROUSSEAU Jean-Jacques, Du Contrat social, Paris, Beauvallon, 1903. (Première édition : Marc-Michel Rey, Amsterdam, 1762).
- ROUSSEAU Jean-Jacques, Emile, ou De l’éducation, Amsterdam, J. Neaulme, 1764.
- HAYAT Samuel, Démocratie, Paris, Anamosa, 2020.
- HABERMAS Jürgen, Notes pour fonder une éthique de la discussion, dans Morale et communication (1983), trad. C. Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1986.
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- PAPANEK Victor, Design pour un monde réel, Paris, Mercure de France, 1974 (Première édition : Design for the Real World, Miljön och miljonerna, Stockholm, 1971).
Mémoires, Thèse
- MORVAN Alexia, Pour une éducation populaire politique. À partir d’une recherche-action en Bretagne, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-Louis Le Grand, Université de Paris VIII, 2011.
- ADELHEIM Chloé, Ceci est mon corps. Regards croisés sur le pain, aujourd’hui en France, Mémoire de fin d’étude sous la direction de Perrine Boissier, ENSCI, 2019.
- FERRY Léonie, L’autonomie, Quoi ? Pourquoi ? Comment ?, Mémoire de fin d’étude sous la direction de Frank Burbage, ENSCI, 2014.
Articles, chapitres d'ouvrage
- CHATEIGNER Frédéric, « Considéré comme l’inspirateur... Les références à Condorcet dans l'éducation populaire », in Sociétés contemporaines, n° 81, 2011, p. 27-59.
- DOS SANTOS Jessica, « Le Familistère de Guise : habitat collectif et autonomie ouvrière », in Revue du Nord, vol. 374, p. 63-76, 2008.
- MARTIN Jean-Paul, « L’éducation populaire », in JACQUET-FRANCILLON François et al., Une histoire de l’école : Anthologie de l'éducation et de l’enseignement en France XVIIIe-XXe siècle, Paris, Retz, 2010.
- FREINET Célestin, « Vers l'école du prolétariat : la dernière étape de l'école capitaliste », in Revue CLARTÉ, n°60, juin 1924, p. 263-264.
- FREINET Célestin, « Les invariants pédagogiques - Code pratique d’école moderne », in Bibliothèque de l’école moderne, n°25, 1964.
- FREINET Célestin, « L’École prolétarienne et la crise », in L’Imprimerie à l’École, n°49, février 1932, p. 137-140.
- POUJOL Geneviève, SIMONOT Michel, « Militants, animateurs et professionnels : le débat "socioculturel-culturel" (1960-1980) », in MOULINIER Pierre (sous la dir.), Les associations dans la vie et les politiques culturelles, Paris, ministère de la Culture, Les travaux du DEP, 2001, p. 89-105.
- COUDRAY Sophie, « Réalité(s) et fantasme(s) d’un théâtre du peuple brésilien. Du Teatro de Arena au Teatro do oprimido, Augusto Boal et l’idée de théâtre populaire » in PICQUET Théa et al., Le peuple. Théories, discours et représentations, Aix, Cahiers d’études romanes, 2017, p. 449-460.
- MERMET Laurent, « Épilogue. Débattre sans savoir pourquoi : la polychrésie du débat public appelle le pluralisme théorique de la part des chercheurs », in BLATRIX Cécile et al., Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, 2007, p 368-380.
Articles de presse
- LEPAGE Franck, « De l’éducation populaire à la domestication par la “culture“ », Le Monde Diplomatique, mai 2009, p. 4-5.
- CASSEN Bernard, « La nécessaire refondation de l’éducation populaire », Le Monde Diplomatique, juin 1997, p. 20-21.
- GIRAUD, Baptiste. « Dans la bonne humeur, les coopératives d’éducation populaires émancipent les consciences », Reporterre, 16/05/2015.
- PELLOUTIER Fernand, L’ouvrier des deux mondes, n°15, 01/05/1898.
- FORSTER Simone, « Les origines lointaines de l’école de demain », Educateur, n°4, avril 2019.
- PEREIRA Irène, « Qu’est-ce que la conscientisation ? », Le Courrier, 23/11/2018.
- Iresmo, « Les niveaux de conscientisation chez Paulo Freire », 28/01/2019.
- Sport, « À la conquête de la santé », extrait du discours de Léo Lagrange lors de la conférence d’information du 9 octobre 1936, FSGT. D’après TERFOUS Fatia, « Sport et éducation physique sous le Front populaire et sous Vichy : approche comparative selon le genre », Staps, avril 2010, p. 49-58
- CASTORIADIS Cornelius, « Le triomphe de l’insignifiance », Là-bas si j’y suis, novembre 1996.
Articles de blog
- MORVAN Alexia, « Pour une éducation populaire politique », SCOP Le Pavé, date inconnue.
- « Le théâtre du Familistère », Le Familistère de Guise, 10/01/2019.
- LENOIR Hugues, « A l’origine du syndicalisme. Éduquer pour émanciper », Hugues Lenoir, 22/02/2014.
- BALRY Régis, « Qu’est-ce que l’éducation populaire », CEMEA - Pays de la Loire, date inconnue.
- TOLINI Gauthier, « Dialogue entre Freinet et Freire : La neutralité et l'éducation (I) », Iresmo, 26/01/2017.
- TOLINI Gauthier, « Dialogue entre Freinet et Freire (II) : l'éducation conscientisante », Iresmo, 09/03/2017.
- JACOMINO Baptiste, « Freinet et la coopération », Cahiers Pédagogiques, 06/05/2013.
- CHATEIGNER Frédéric, « Une troisième vie de l’éducation populaire ? Les relances des années 1990-2000 », décembre 2013.
Lois, décrets
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Ressources iconographiques
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- Carte postale de l’école Freinet de Vences - Le four à pain, Association Amis de Freinet, 1936-1940.
- Carte postale de l’école Freinet de Vences - Construction de l’école, Association Amis de Freinet, 1936-1940.
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- Expérimentations au Théâtre de l'Opprimé de Paris, 1975.
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Ressources vidéos
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Carte postale de l’école Freinet de Vences - Le four à pain, 1936-1940, Association Amis de Freinet.
Carte postale de l’école Freinet de Vences - Construction de l’école, 1936-1940, Association Amis de Freinet.
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Coopérative La braise, « Le conflit - on le gère ou on l'anime ? », Youtube, 2019.
Coopérative La braise, « Techniques pour distribuer la parole dans un groupe », Youtube, 2018.
[Extrait] TANGUY Gael & LEPAGE Franck, « Inculture(s) 5 : "Travailler moins pour Gagner plus" ou l'impensé inouï du salaire. Une autre histoire du travail et de la protection sociale. », SCOP Le Pavé, 2010. [1:17:25 - 1:21:00]
BLONDEAU Aurélien, « Porteur de paroles », SCOP Le Contrepied, 2016.
Théâtre de l'Opprimé, « TO - Présentation théâtre forum RuiFrati - Filipe Ferraz », Vimeo, 2014.
Johann Chapoutot est historien, il enseigne à la Sorbonne. Il est spécialiste du nazisme, ses travaux portent sur la manière dont il s’inscrit dans l’histoire culturelle européenne.
Claude Didry est sociologue, directeur de recherche au CNRS. Il développe une sociologie historique du droit du travail.